de la guerre. Car elle évolue, n’en déplaise à M. Letourneau[1]. Elle a évolué presque autant que le travail, plus que l’amour et les beaux-arts et beaucoup plus que le crime. A-t-elle évolué dans le même sens que ce dernier, ou en sens inverse ? La criminalité, en se civilisant, perd de sa violence vindicative et revêt un caractère ou un déguisement plus astucieux, plus érotique, plus cupide. La guerre commence bien aussi par être haine et vengeance et finit par être cupidité et rançon. Mais la criminalité débuta par de grandes bandes de brigands et de nos jours elle est plus individuelle que collective ; c’est le contraire pour la guerre que l’on voit passer de l’ère des guérillas à celle des grandes guerres, des armées de plus en plus démesurées. La guerre a souvent emprunté, à l’origine, une fausse, très fausse, mais profonde couleur religieuse, qu’elle a perdue à la longue et que n’a jamais eue le crime. — L’évolution de la chasse ne diffère pas moins de celle de la guerre. La chasse, faite en troupes au début et très dangereuse, est devenue individuelle et récréative, pendant que la guerre, chose privée primitivement, est devenue chose de plus en plus sociale, de plus en plus sérieuse et terrible.
- ↑ Le savant professeur le sait si bien, du reste, qu’après ravoir nié dans la préface de son livre sur la guerre (Battaille, éditeur. 1895), il intitule plusieurs chapitres : «Évolution de la guerre chez les nègres, chez les races jaunes, chez les Sémites, » etc. En cela, il semble reconnaître enfin que révolution suit de multiples voies. Seulement il se trompe, je crois, en se persuadant que chaque race a sa voie spéciale. Il n’est rien qui, plus que les institutions et même les mœurs guerrières, se joue des barrières de races : les Romains et les Carthaginois, les Macédoniens et les Perses, les Égyptiens et les Assyriens, se sont réciproquement emprunté leurs armements et leur tactique, et, de nos jours, le Japon s’est militarisé, avec le succès qu’on sait, à l’instar de l’Europe.