Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/416

Cette page n’a pas encore été corrigée

unités, dont il ne serait pas seulement le rapport intime et complexe, mais la cause et le principe supérieur. Et il est certain qu’à l’inverse, la guerre, après avoir fait les patries et les patriotismes tels qu’ils sont, contradictoires et insociaux essentiellement, est rendue par eux nécessaire et inévitable, trouve en eux sa raison d’être et sa justification apparente. Si les sociétés sont, je le répète, des êtres supérieurs et distincts, conditionnés mais non constitués par les êtres individuels dont ils ne seraient pas seulement la mutuelle pénétration mentale et morale, mais la sublimation et la transfiguration réelles, existant en dehors de la conception que chacun d’eux s’en fait, le sacrifice des intérêts individuels, des vies individuelles, même en totalité, aux fins, aux simples caprices, de ces êtres transcendants est la chose la plus naturelle du monde. La guerre, à ce point de vue, est la forme que doit nécessairement et légitimement revêtir d’une manière permanente l’opposition dynamique, en s’élevant à la sphère sociale. Réciproquement, si l’on juge que la guerre, l’immolation gigantesque, le massacre généralisé et mutualisé, est une fonction normale et hautement nécessaire de la vie des sociétés, c’est qu’on regarde les sociétés comme des personnes quasi divines qui n’ont nullement à se soucier du salut des individus, leurs sujets, et des intérêts infimes de ce vil troupeau. On voit l’importance pratique de cette question de la société-organisme, que les sociologues agitent et qui, à première vue, pouvait paraître une simple matière à discussion scolastique.

Mais, pour faire justice à la fois de ces deux thèses du militarisme nécessaire et de l’ontologisme social, il nous suffira