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ne laissent pas de doute à ce sujet. C’est pour batailler contre les lions, les tigres, les éléphants, les rhinocéros, que l’homme pour la première fois a dû s’unir à l’homme et s’enrégimenter. Mais, après s’être durci le cœur dans ces chasses guerrières, l’homme, dès la première rencontre et la première querelle avec une autre tribu, devait être entraîné à chasser l’homme. La chasse, donc, portait la guerre dans ses flancs ; et il semble, dès lors, que la nécessité de celle-ci en découle, puisqu’il était impossible à l’homme naissant de croître sans exterminer des animaux. Mais la question, fût-elle résolue en ce sens, ne serait encore que reculée. Admettons que la guerre ait été la suite fatale de la nécessité pour certains vivants de manger d’autres vivants pour vivre. Pourquoi cependant cette loi physiologique du meurtre animal ? Est-ce donc que le progrès des espèces vivantes ne pouvait s’opérer que par cette voie meurtrière et qu’il eût été absolument impossible au génie de la vie d’épancher sous le soleil sa force d’inventions spécifiques sans y être contraint par les besoins du meurtre réciproque et de la mutuelle manducation ? Est-ce qu’une animalité exclusivement herbivore eût été nécessairement stationnaire ? Le contraire est démontré. Ne pourrait-on pas regarder l’apparition des espèces carnivores, soit parmi les poissons, soit parmi les oiseaux, soit parmi les mammifères, ou dans les embranchements inférieurs, comme une aberration délirante ou criminelle de la nature qui s’est laissée égarer, hors de ses voies normales, dans ces odieuses impasses ? Le crime appelle le crime. Une fois entrée dans la route de l’assassinat, la nature vivante s’y est dénaturée, démoralisée, elle a perdu ce qui a été jusque-là son caractère le