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suivant une notion que s’en font inconsciemment certains auteurs, il faut avouer qu’une vie batailleuse est pour les peuples l’apprentissage indispensable du caractère. Mais je ne vois aucun mal à ce que les nations de cœur eussent pris le pas sur les nations de caractère et couvert le monde de leurs enfants à la place de ces dernières. La culture de la bonté, plus que de la volonté âpre et tenace, importe au progrès. — Il est certain aussi qu’une pente presque fatale, sinon tout à fait irrésistible, poussait l’homme primitif aux combats. D’abord, il a suffi, parmi cent tribus laborieuses, paisibles et sans armes, d’une seule tribu pillarde, pour forcer toutes les autres à se militariser pour se défendre ; et de la défense à l’attaque il n’y a qu’un pas. Puis, le plus noble instinct de l’homme, le sentiment de la justice, faisait franchir ce pas. Un peu partout dans les tribus sauvages, la guerre semble née d’un sentiment grossier mais profond de la justice pénale, du besoin de talion, de symétrie entre l’agression et la riposte : on s’arme par vendetta familiale pour venger le sang par le sang, et peut-on dire ici que la guerre est fille de la cruauté et de la rapacité, qu’elle est l’organisation du crime collectif ? Enfin, l’idée, la tentation de guerroyer était naturellement suggérée à des peuplades qui étaient habituées à chasser et ne pouvaient vivre qu’en chassant.

Est-ce la chasse qui a donné l’idée de la guerre, ou la guerre qui a donné l’idée de la chasse ? C’est certainement la chasse qui a précédé : la dispersion, l’éloignement des premiers groupes humains, leur isolement au sein de l’animalité fauve contre laquelle ils avaient à lutter, aux dépens de laquelle ils devaient s’alimenter, avant toute domestication,