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éclate, il devient violent, quand les partisans des écoles rivales sont réunis dans une même ville, dans une enceinte telle qu’un théâtre, où les uns et les autres expriment à la fois et très haut leur enthousiasme ou leur mépris. Voilà pourquoi ces batailles esthétiques, par exemple les scènes épiques de la première représentation d’Hernani, se livrent surtout en fait de drames, jamais à propos de poésie lyrique ou de romans, quoique le roman de nos jours intéresse bien plus que le drame. Mais le roman passionne un public dispersé, le drame un public rassemblé. — Aussi longtemps que les marchandages entre acheteur et vendeur, entre patron et ouvrier, ont lieu à part les uns des autres, ils ont beau être très vifs et très fréquents, beaucoup plus vifs même et plus fréquents que de nos jours en Europe, ces débats économiques ne font qu’entretenir une animation paisible et continue de la vie sociale. Mais, dès que la Presse centralise les prétentions contraires et les publie, on en arrive à des grèves qui sont des occasions d’émeutes sanglantes. — Il y a, en fait de mœurs et de morale comme en matière d’art, des innovations (la bicyclette pour les femmes, le divorce, l’amour libre), au sujet desquelles des discussions s’engagent partout. Elles restent privées jusqu’à ce que la Presse les convertisse, en agitation féministe par exemple.

Cependant, il est à remarquer que les questions morales, quoique infiniment plus importantes que les questions politiques ou même économiques, suscitent beaucoup moins de conflits sanglants que celles-ci et surtout que celles-là, parce qu’il est dans la nature des problèmes moraux de ne comporter en fait que des solutions éparses et individuelles, comme il est dans la nature du roman d’être lu en particulier