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confiné dans un groupe spécial de personnes, sans nulle tendance à rayonner au dehors, on verra, si ce groupe est riche, les fabricants de ce produit, même rivaux, tenir très haut le prix de cet article, bien plus haut en tout cas que si ce besoin était partagé par des classes moins aisées.

Au demeurant, la concurrence n’est qu’une forme hybride et mitigée de la lutte. Elle n’a lieu qu’entre collègues et d’habitude entre compatriotes ; elle implique donc, en même temps qu’une contrariété partielle de leurs vœux et de leurs efforts, une solidarité générale de leurs âmes et de leurs vies. La concurrence est liée à la convivance. Or est-ce en tant que contradiction de désirs qu’il est permis de la réputer à certains égards utile ? Voilà la question[1]. Je la résous par la négative. Tout nouveau-né est un concurrent de vie pour tous les vivants déjà installés sur la terre ; ce qui ne les empêche pas de célébrer sa venue par des fêtes. Et, dans beaucoup de professions, on salue aussi par des réjouissances l’arrivée

  1. Une question toute semblable peut être posée à propos de la discussion libre, à laquelle certains publicistes de grande valeur, M. Bagehot par exemple et, plus récemment, M. Gaston Richard, ont voulu attribuer en politique un rôle au moins égal à celui que les économistes attribuent à la libre concurrence. « Le régime de la discussion, dit M. Richard, est le grand agent du progrès sous toutes ses formes. C’est ainsi que, dans les temps modernes. L’Espagne, la France et l’Angleterre, pour avoir plus ou moins compris le rôle de la discussion, ont eu des destinées si différentes. » On devine tout ce que, si j’avais le temps d’examiner cette thèse, je pourrais y répondre ; mais, dans la mesure où il est certain que la liberté de discuter a produit de bons effets (assurément bien inférieurs et bien subordonnés à ceux du génie inventif et initiateur en tout genre, car, que serait l’Angleterre même avec tout son parlementarisme, si elle n’avait pas eu son Watt par exemple), on peut se demander ceci : est-ce en tant que contradiction d’idées, ou n’est-ce pas plutôt en tant que similitude de connaissances, communauté d’instruction et d’éducation, que la discussion parlementaire est salutaire ?