opposition non moins factice. L’Italien Ferrari, hégélien verveux, voit partout et toujours la vie de l’histoire naître du conflit entre une royauté et une république, couple éternel. Taine a eu le mérite, dans sa division tripartite des facteurs de l’histoire, d’échapper à cette obsession de l’idée de lutte. Le côté remarquable de la sociologie d’Auguste Comte, comme de celle de Bossuet, c’est aussi de concevoir l’histoire moins comme une bataille que comme une procession d’idées se déroulant suivant une série orientée et irréversible. Mais ce sont les économistes surtout qu’il faut louer d’avoir, dans leur sociologie prématurée et inconsciente, renoncé absolument à faire de la guerre le procédé essentiel de la dialectique sociale. Jamais le Dieu des combats n’a rencontré d’athées plus résolus. Seulement, comme pour mieux faire éclater l’empire de l’idée d’opposition sur ses plus grands adversaires, on les a vus, après avoir anathématisé la guerre, entonner des hymnes à la Concurrence, cette autre forme, bien atténuée, du conflit des volontés.
Malgré tout, la lutte des forces allait être remise à sa vraie place, quand le darwinisme est venu, puis l’odieuse guerre de 1870. Et partout, depuis lors, au milieu d’armements formidables, se sont dressés, dans les templa serena même de la science, des autels à la Discorde divinisée, au Massacre providentiel, à la Destruction créatrice, à Siva-Brahma, adoré à genoux comme le seul auteur de tous les progrès de la nature et de l’histoire. Lisez, par exemple, un des sociologues les plus récents, religieux pourtant et fils de la peu belliqueuse Angleterre, M. Kidd : vous le verrez dans son Évolution sociale, faire honneur à la fameuse bataille pour la vie du développement même de « l’altruisme » qui a pour résultat de l’adoucir ou de la supprimer. Réciproquement, il vous apprendra que tous les bons effets des sentiments de la justice, de la bienfaisance, de la pitié, largement répandus, consistent à permettre « au peuple, jusque-là tenu à l’écart, de prendre part au combat pour la vie ! » Ainsi, c’est la bataille qui aurait attendri les cœurs, et l’attendrissement des cœurs aurait rendu la bataille plus générale et plus grandiose ![1] Le darwinisme social n’a pas seulement justifié le militarisme, il en a fait une religion, source d’un mysticisme nouveau, d’un délire farouche. « Hors de la guerre point de salut ! », c’est la devise de cette école.
Il y a d’inoffensives erreurs, mais celle-là n’est pas du nombre. Il faut la combattre, puisque combat il y a ; ou plutôt
- ↑ M. Kidd oublie ici qu’il a, en d’autres pages de son livre, souvent si bien inspiré, expliqué la diffusion de la bonté par celle des religions. — Il croit à l’extension croissante des pouvoirs de l’État, mais il croit aussi qu’elle aura pour seul effet d’égaliser les conditions sociales de la lutte pour la vie, nullement de la restreindre.