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de la misère à l’infini du luxe, et, si on lui supprimait la perspective de cet idéal, si on prétendait limiter ses vœux a un degré précis de bien-être, qui, en lui montrant une barrière, lui ferait naître le désir impérieux de la franchir ou la douleur de la savoir infranchissable, on amortirait son activité. Mais, d’autre part, quel scandale qu’un tel écart entre le plus pauvre et le plus riche, et comment se résigner à admettre que, nécessairement, inévitablement, il doit aller en grandissant au cours de la civilisation et de la richesse croissantes ![1] Cela ne se peut ; il est impossible que, dès le jour où il a été mesuré, où la vue de cette disproportion a saisi les consciences et révolté le sentiment civilisateur par excellence, le sentiment de la justice, cette inégalité ne s’atténue pas sans cesse, non, il est vrai, par une diminution des grandes fortunes, mais par l’élévation graduelle des fortunes moyennes et la suppression de la pauvreté.

Et il en sera ainsi nécessairement d’après nos principes, par suite des lois de la propagation imitative des inventions civilisatrices qui tendent à opérer le nivellement graduel des besoins et des ressources, combiné avec leur commune ascension.

En résumé, il n’est pas vrai que, dans le monde social au moins, au point de vue de la quantité comme à tout autre, le déclin soit la suite inévitable du progrès et que, lorsqu’il lui succède, il lui soit comparable. L’obsession de l’idée de symétrie entraîne, ici encore, l’esprit humain à de grandes erreurs, l’élite comme la foule. Stuart Mill a eu

  1. « Le progrès de la misère est parallèle et adéquat au progrès de la richesse », disait Proudhon, sauf à se contredire un instant après.