perd que parce que leur population décroît en vertu de causes physiologiques ou autres qui n’ont rien de linguistique, — ou bien de peuples qui se sont laissé peu à peu gagner par la contagion d’un idiome voisin, parce que le hasard a fait que celui-ci présentait certains avantages sur leur langue maternelle. Il n’est pas de langue qui, sur ses frontières, ne livre d’incessants et invisibles combats avec ses voisines, sous la forme de duels logiques ou téléologiques[1] qui s’opèrent entre deux mots différents s’offrant à la fois pour exprimer la même idée. De l’issue générale de ces duels, dans la moyenne des cas, dépend le recul ou la progression d’une langue. Cette frontière des langues est la zone critique où se jouent leurs destins, le champ de bataille où elles cherchent réciproquement, sous des apparences pacifiques, à s’exterminer.
Une langue, — sauf le cas où sa population vient à disparaître - ne peut donc jamais mourir que tuée par une autre langue, puisque l’homme doit toujours parler à moins de cesser d’être homme. Une langue peut se modifier, se transformer, elle ne peut pas se suicider.
Mais, au fond, n’en serait-il pas de même d’une religion, d’une philosophie, d’une constitution, d’une législation, d’une morale, d’un art ? Une religion, jusqu’à l’avènement de la libre pensée, ne meurt, cela est certain, que tuée par une autre religion ; et, quand la libre pensée apparaît, le conflit qui s’engage entre elle et son adversaire est dû à ce qu’une religion a suscité une forme d’irréligion précisément opposée
- ↑ Voir à ce sujet nos Lois de l’Imitation chapitre intitulé « Les lois logiques de l’imitation ».