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II

Il n’est pas d’aspect de la vie sociale qui se prête avec plus de facilité que le langage à être traité comme un organisme vivant. Eh bien, c’est cependant aux langues surtout, parmi les choses humaines, qu’il est impossible d’appliquer jusqu’au bout la loi des âges, la nécessité de la mort. Ne voit-on pas tout idiome, arrivé à un certain point de maturité, d’équilibre mobile, s’y tenir indéfiniment s’il est parlé par un peuple prospère ou s’il passe d’un peuple prospère à un autre, et ne périr en somme que de mort violente ? La langue ressemble en cela non pas à l’individu vivant, — auquel il faudrait plutôt comparer peut-être le mot pris à part - mais à l’espèce vivante qui, elle aussi, semble n’être pas nécessairement vouée à la mort en un temps donné, puisque rien n’indique le moins du monde qu’il y ait une proportion quelconque entre le temps (inconnu) de la formation de ces types et leur durée prodigieusement inégale, qui, pour quelques-uns d’entre eux, a traversé plusieurs périodes géologiques. Il n’apparaît même pas que la langue, non plus que l’espèce, vieillisse. On sait ce qu’on entend, au moins métaphoriquement, par le vieillissement d’une littérature et d’un art, d’un régime politique, d’une religion, d’où peut suivre leur mort naturelle, ce qui ne veut pas dire nécessaire et inévitable toujours. Mais quels caractères distinctifs désigne-t-on quand on parle de la décrépitude d’un idiome ? Qu’est-ce qu’on entend par là, au fond, si ce n’est la décrépitude littéraire, politique, religieuse,