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souvent à généraliser dans le public leur forme de sensibilité particulière, et dès lors vraiment caractéristique.

Les meneurs, comme les menés, ont deux façons réellement opposées de l’être. Chez les premiers, comme chez les seconds, peut prédominer le penchant soit à l’affirmation, soit à la négation, — soit à la volonté, soit à la nolonté. Mais, si réelle que soit cette opposition, elle s’incarne en caractères et en natures d’esprit d’une importance des plus inégales, et dont l’inégalité rompt en fait cette symétrie tout idéale. Les meneurs affirmatifs et volontaires sont les inventeurs, les initiateurs enthousiastes et entreprenants, les grands hommes de gouvernement ; les meneurs négatifs nolontaires sont les grands critiques religieux, philosophiques, scientifiques, littéraires même, et les leaders influents des oppositions politiques. Ces deux catégories mentales se complètent encore plus qu’elles ne se combattent, et les critiques épurent l’œuvre des inventeurs comme les opposants redressent les fautes des gouvernants. Chez les menés, distinguons aussi les disciples-nés et les contradicteurs-nés. On peut subir l’empreinte d’autrui soit en acceptant ses idées et ses désirs, soit en prenant précisément le contre-pied des uns ou des autres[1]. L’esprit de contradiction et de blâme, propre aux personnes appelées paradoxales, n’est, en somme, que l’esprit d’acquiescement et d’approbation retourne. Ce dernier attire moins l’attention parce qu’il est plus fréquent, et c’est

  1. Chez les négatifs meneurs, la contradiction est liée à une thèse dont elle est le verso, et qui la soutient. Il y a un peu d’invention au fond de cette contre imitation.