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répandre les joies et les souffrances antisociales dont il s’agit.

Ce n’est pas tout. Mon plaisir peut avoir pour objet un autre plaisir soit mien soit d’autrui, et ma douleur une autre douleur soit mienne soit d’autrui. Il y a, en effet, des plaisirs de plaisir et des douleurs de douleur, de même que, et parce que, il y a des désirs de désir, des répulsions de répulsion et aussi bien des croyances de croyance, des négations de négation. Ce ne sont pas la de vains jeux de mots, et ces autocombinaisons psychologiques, qui ne sont pas sans rappeler certaines auto-combinaisons de la chimie contemporaine, on une fécondité inaperçue. On peut leur attribuer en partie les notions capitales du vrai et du bien. « Le juste, le bon, le désirable, c’est tantôt ce que l’on croit désiré par un nombre indéfini, pratiquement infini, de compatriotes, tantôt ce dont le désir, soit en nous soit en autrui, n’étant pas éprouvé, est désiré par nous en vertu d’un jugement de finalité. Un musulman pieux, mais sensuel, à l’époque du Ramadan, juge bonne et juste la sobriété qu’il n’aime pas, et il la juge telle parce qu’il désirerait l’aimer, comme propre à lui mériter le paradis qu’il souhaite. — Le vrai, le croyable, c’est tantôt ce que l’on croit cru par l’immense majorité des hommes, tantôt ce dont la croyance immédiate, la perception, soit en nous, soit en autrui, est conditionnellement affirmée par nous, en vertu d’un jugement d’identité. Qu’est-ce que j’entends en tenant pour vraie la rotation de la terre autour du soleil ? Ceci, au fond : je crois à la croyance immédiate que j’en aurais s’il m’était donné d’avoir des yeux assez gigantesques et une vue assez télescopique pour voir le mouvement