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de vue, on peut trouver inadmissible qu’il existe des sensations indifférentes par elles-mêmes ; aussi l’observation n’en montre-t-elle aucune de ce genre, mais elle fait voir que toutes sont susceptibles un jour ou l’autre de présenter cet état de neutralité accidentelle. Ce sont les impressions des sens supérieurs qui le présentent le plus souvent. Pourquoi ? Parce que, se combinant davantage avec la croyance, elles doivent se combiner moins avec le désir. Ce qui correspond aux odeurs ou aux saveurs agréables et pénibles, ce sont les sensations visuelles affirmatives ou négatives, reconnues ou discernées, et qui ont aussi leur état neutre, quand, par hasard, apparues pour la première fois ou suggérant des réminiscences contradictoires, elles ne se lient à aucun jugement d’affirmation ou de négation. Cette remarque, entre parenthèses, indique non seulement qu’il y a deux sortes de neutralité, l’une affective, l’autre judiciaire, mais encore que chacune d’elles se divise en deux : de même qu’il y a le repos par absence de forces et le repos par équilibre de forces qui se font obstacle l’une à l’autre, il convient de distinguer l’indifférence par absence de désir et de contre-désir, de croyance affirmative ou négative, et l’indifférence par équilibre de désirs ou de croyances contraires.

Mais l’indifférence par équilibre paraît ne pas s’appliquer

    et normal de notre vie, où, dans intervalle de nos repas, nous n’avons ni faim ni dégoût. De même, on peut dire que, pour une femme galante, il n’y a pas de milieu entre le plaisir que lui font les caresses de certains hommes et la répugnance que lui causent celles de certains autres, et que jamais de telles relations ne lui sont indifférentes. Mais, quand elle passe ainsi du désir à la répulsion, elle traverse toujours un état neutre — l’état normal pour tout le monde, sauf pour les érotomanes — où elle ne désire ni ne repousse rien de pareil.