toujours, surexcité par ses satisfactions mêmes, et que ses progrès en précocité et en prolongement, en intensité et en raffinement, chez les femmes comme chez les hommes, peuvent servir à mesurer ceux de la civilisation. Si l’amour, dans nos sociétés, venait à baisser autant qu’a baissé la pudeur, la source principale de leur activité laborieuse tarirait, la fleur de leurs beaux-arts et de leurs littératures se flétrirait, elles perdraient, avec tout leur luxe et toute leur splendeur, le ressort de leur progrès, leur âme. — Nulle symétrie, donc, ici non plus[1].
Les Anciens avaient imaginé l’antithèse d’Éros et d’Antéros. Ce dernier, petit dieu très peu connu, était frère d’Éros et symbolisait l’amour malheureux. Leur antagonisme - qui donnerait facilement lieu à des observations analogues aux précédentes, sur la très inégale importance des plaisirs et des douleurs d’amour - nous amène à parler de cette grande et fondamentale
- ↑ M. de Hartmann rapproche ingénieusement ces trois instincts, la crainte de la mort, la pudeur et le dégoût, le premier destiné à nous détourner du suicide, le second à nous éloigner des œuvres de la génération, le troisième à nous faire repousser certains mets. En poussant plus loin cette analogie, ne pourrait-on pas dire, non seulement que la pudeur a pour opposé l’amour et le dégoût l’appétit, mais encore que la peur de la mort a peut-être elle-même un contraire qui lui succède, comme Tamour succède à la pudeur et Tappétit au dégoût, et qui serait une sorte d*amour ou d’appétit de la mort, désir innomé parmi les hommes, parce qu’il est (qui sait ?) le monopole des agonisants et la dernière surprise providentielle de l’existence ?