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ne saurait l’être non plus, et les deux ne seraient que des composés plus ou moins tardifs. M. Ribot veut qu’on distingue de tout sentiment affectueux la première forme de la sympathie, qui serait, d’après lui, une simple tendance physiologique à la répétition imitative des mouvements, des gestes observés chez les animaux de la même espèce. Faudrait-il donc aussi distinguer de tout sentiment haineux la première forme de l’antipathie, qui consisterait à faire le contraire de ce qu’on voit ses semblables accomplir ? Il me semble que, s’il y a de la colère - et aussi de la peur - dans la haine, il y a aussi de la haine dans la colère et dans la peur, et qu’en réalité ces deux derniers sentiments, comme les autres, sont suscités par la présence, réelle ou imaginaire, d’autres personnes. Le fait élémentaire auquel le sentiment affectueux se reconnaît, la tendance au contact, est un phénomène plus primitif que les psychologues ne sont portés à le croire[1], car il doit être ressenti longtemps avant de pouvoir s’exprimer. Dès que l’enfant peut mouvoir les bras ou se soulever, on le voit tendre à saisir des objets, à prendre, ne serait-ce que le sein de sa nourrice. Or, n’avons-nous pas des raisons d’admettre que, comme l’humanité primitive, il anime et personnifie instinctivement tout ce qu’il voit ? S’il en est ainsi, il y a un amour embryonnaire dans la tendance qu’il a à saisir n’importe quoi. Il y a du baiser, de la caresse, de l’étreinte affectueuse, dans tout geste par lequel il essaie

  1. D’après Pérez, le meilleur observateur de l’enfance, les premiers témoignages d’affection donnés par l’enfant apparaissent dès le dixième mois. Nous sommes loin de Rousseau, qui jugeait l’enfant incapable de tout sentiment affectueux avant la puberté.