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on voit à la fois celle des mouvements inverses (avancer, reculer) se combiner avec celle des désirs contraires (se sauver, se risquer), sans compter celle des jugements contraires (nous ne pouvons plus vaincre, nous pouvons vaincre : nous sommes battus, nous allons battre). Entre ces deux extrêmes, le sang-froid est l’état zéro. On ne peut passer de la peur à la colère ou de la colère à la peur sans traverser ce point d’indifférence, mais quelquefois si vite, qu’on ne peut s’en apercevoir. Il y a d’ailleurs plusieurs espèces de colère. La colère courageuse qui s’oppose à la peur ne doit pas être confondue avec la colère-indignation qui s’oppose à la stupeur de l’admiration morale. Il y a aussi plusieurs espèces de peur : la peur de l’enfant qui s’effraie d’une nouveauté est plutôt un accès de méfiance et s’oppose, comme telle, à la confiance, non à la colère. Cette peur-méfiance est un sentiment-croyance ; la peur-alarme est un sentiment-désir.

La civilisation, qui étend sans cesse, avec l’empire du Droit, la sécurité des personnes et des biens, tend par suite à diminuer les occasions d’épouvante et de fureur, et à faire prédominer l’état de sang-froid. Mais, en attendant qu’elle les supprime, elle utilise la colère et la peur. Toutefois, si l’on compare les œuvres sociales de la peur à celles de la colère, on n’aura point de peine à reconnaître la supériorité des secondes. Les œuvres de la peur sont : les formes les plus basses de la religion, les superstitions dégradantes, les sacrifices humains aux dieux en temps de calamités, tous les régimes de Terreur - car c’est par peur, le plus souvent, qu’on est terroriste - et, avant tout, l’institution de l’esclavage. Les œuvres de la colère sont : les insurrections, les