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religions et les langues, pourquoi cette personnification universelle ne serait-elle pas jugée instinctive au même titre que l’attrait sexuel ? Le génie constructeur des langues ne révèle-t-il pas, en somme, une prédisposition naturelle comparable à celle qui fait construire le nid de l’oiseau ? Linguification et nidification n’ont-elles rien de commun ? Cela n’empêcherait pas, à mon avis, les langues d’être produites par une accumulation de petites inventions individuelles, mais celles-ci seraient l’exercice d’aptitudes spéciales et natives. En sociologie[1], il y aurait, je crois, à faire la part des instincts-croyances, non seulement en fait de créations religieuses et linguistiques, mais dans l’ordre des faits politiques et moraux. On ne peut expliquer qu’ainsi toutes les similitudes internationales dont le principe de l’imitation ne suffit pas à rendre compte. Le premier, et non le plus important, de ces instincts-croyances collectifs, c’est l’irrésistible erreur de l’orgueil primitif qui pousse toute peuplade, toute tribu, si infime soit-elle, à se regarder comme supérieure à tout le reste de l’humanité et à mépriser notamment tous ses voisins, ce qui sert longtemps à maintenir la pureté de son type. « Tout nous vient de l’orgueil », dit le poète avec plus de raison encore qu’il ne croit, et cela est aussi vrai des peuples que des personnes. Le premier des instincts-désirs collectifs, n’est-ce pas aussi cette antipathie naturelle à l’égard de l’étranger qui, combinée avec une force singulière de sympathie fraternelle pour le compatriote, mais combattue heureusement par le penchant non moins naturel à s’entre-imiter, s’exprime dans l’

  1. En psychologie aussi, d’abord. Les Catégories de Kant, qu’est-ce, sinon des Jugements instinctifs, des instincts-croyances s’il en fut ?