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la suite des incarnations supérieures du Désir, sous l’action combinée du jugement et de la volonté. Mais, en réalité, le Sentiment est quelque chose de plus caractérisé et malaisé à comprendre. Une foule d’actes volontaires, dans les diverses professions sociales, ont beau se répéter et se consolider en habitudes, ces habitudes ne deviennent jamais des passions, ni des émotions, ni même des impressions tant soit peu neuves. D’autre part, la plupart de nos passions et de nos émotions éclatent non à la suite d’actes volontaires devenus habitudes, mais simplement d’idées apparues, de jugements perçus par l’esprit. Le sentiment à ses racines à la fois dans l’intelligence et dans la volonté, et de là sa complexité, son ambiguïté féconde. Je vois la flamme jaillir de mon toit, aussitôt je suis pris d’un tremblement fiévreux, ma respiration et ma circulation s’accélèrent, je me meurs d’épouvante en songeant que mes enfants sont peut-être là. Pourquoi cette simple perception, la vue d’une flamme, a-t-elle révolutionné ainsi tout mon être ? Je vois, j’écoute une femme charmante, et un trouble non moins organique me saisit. Pourquoi cela ? On ne comprendra jamais cette action si profonde d’un simple état intellectuel, si l’on ne songe que nous portons en nous continuellement, jusque dans les profondeurs de notre organisme, des désirs endormis ou virtuels et des attentes inconscientes, qui sont des sécurités. À chaque instant, nous nous attendons à certaines choses auxquelles nous ne pensons pas, et ces assurances virtuelles, ces persuasions sourdes, sont le courant même de notre vie mentale, dont les sensations et les images qui s’y succèdent ne sont que les teintes superficielles ou les miroitants reflets. À chaque instant aussi nous