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faculté même de désirer et de repousser, notre moi volontaire en cet étrange notion du Temps, sorte de Désir universel, sans terme et sans objet, commun à tous les désirs particuliers, de Désir immanent de l’Espace immense. Il est à remarquer que l’un des caractères les plus essentiels de l’Espace, tel que nous le concevons, est d’être unique et identique à lui-même, précisément comme le moi, et qu’il en est de même du Temps. Nous concevons la matière, la force, le mouvement, comme multiples et changeants, mais l’Espace et le Temps comme l’unité et l’identité nécessaires des diversités et des changements qui s’y jouent. De là, par exemple, cette propriété merveilleuse du temps : son ubiquité, la simultanéité de ses instants d’un bout à l’autre de l’immensité. Le temps est la seule chose étendue (car il l’est essentiellement, comme l’espace est essentiellement chronique, et aussi bien comme le jugement est volontaire et la volonté judiciaire) qui ne soit point divisible et morcelable, et qui soit non pas semblable, mais absolument le même et tout entier en chacun des points de l’espace. Si l’on cherche à définir la simultanéité, on verra que cette extraordinaire notion est indéfinissable autrement qu’ainsi : la possibilité (la certitude conditionnelle) pour les phénomènes dits simultanés d’être sentis, perçus immédiatement par un observateur qui embrasserait leurs perceptions immédiates dans un même état d’esprit. L’identité de cet état d’esprit hypothétique est tout le contenu de l’idée de simultanéité, à laquelle nous croyons fermement, comme à nous-mêmes, quoique l’hypothèse sur laquelle elle se fonde soit irréalisable dans la grande majorité ou plutôt dans la presque totalité des cas.