il se trouve que toute inspiration s’est évanouie. Or qu’est-ce que l’inspiration ? N’est-ce pas le premier frisson sympathique de ces éléments multiples et dissonants dont la poésie veut faire un tout, de ces sentiments, de ces images, de ces rêves, qui n’ont pas perdu la fraîcheur de leur premier étonnement de s’être rencontrés, et qui tendent à s’accorder plus étroitement, mais dont le lien encore lâche et flottant favorise la mutuelle ardeur ? Elle est comparable à cette fièvre de généralisation qui embrase le cerveau des philosophes, quand toutes ses théories et ses formules partielles longtemps éparses dans son souvenir et étrangères en apparence les unes aux autres, se démasquent et croient se reconnaître, entrevoient la possibilité de s’unir en un système complexe, plus conforme que ses devanciers à la nature des choses. Cette fièvre passe à mesure que le système se précise, s’élargit, se consolide, s’immobilise enfin dans l’esprit de son auteur. Car, il y a aussi une mort systématique, non moins évidente que la mort rythmique. La théorie de Ptolémée avant Copernic, les théories d’Aristote avant Descartes, la théorie du phlogistique avant Lavoisier, étaient mortes, c’est-à-dire assises, trônant à demeure sur les faits rebelles. On peut dire, en général, d’une théorie scientifique, même des plus vraies, qu’elle est morte, — par exemple, celle de l’ondulation en optique, jusqu’à ces derniers temps du moins - quand elle ne rencontre plus d’opposition dans les intelligences.
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