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Mais quel genre de possession imparfait et borne ! Avant même que le dernier perfectionnement fût apporté à la faculté de s’élever et de se mouvoir, la dernière extension donnée à la vie nutritive, la vie, heurtant perpétuellement et toujours en vain aux limites infranchissables que lui opposait la majeure partie des molécules matérielles réfractaires à son assimilation, avait suscité l’apparition de ce qui, appelé d’abord au secours de la nutrition, mais perfide allié, était destiné à fonder sur elle et par elle un autre empire ou le sien serait absorbé ; j’ai nommé la sensation, aube de l’âme. Pour elle aussi, on a osé invoquer des explications mécanistes ! Or, que la sensation soit une relation entre l’organisme et le milieu extérieur, et une relation utile à la vie organique, rien de moins contestable. Mais que ce soit une relation d’effet à cause, comme on le laisse entendre, qui le croira jamais ? À la rigueur, on peut admettre que les actions physiques du dehors, la lumière venant d’un certain côté, le vent soufflant dans une certaine direction, aient pu produire des attitudes végétales ou animales devenues chroniques à la longue ; des mouvements, en effet, peuvent engendrer des formes. Mais la sensation n’est pas une forme. Certes, on se saurait prétendre ici à une explication claire et complète ; on donne toutefois, ce me semble, une certaine satisfaction à l’insatiable curiosité de l’esprit en attribuant à l’être vivant, comme essence propre, une avidité infinie, dont la curiosité humaine ne serait que la traduction mentale, et qui le pousserait sans cesse, non seulement à étendre le plus loin possible ses annexions, d’où sa multiplication suivant la progression géométrique de Malthus et de Darwin, mais