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à m’en dégoûter si, à mesure que j’avançais, un autre genre d’intérêt, plus puissant, plus poignant, ne fût venu se joindre et peu à peu se substituer au charme premier, me ramenant par un léger détour à mes préoccupations d’ordre social que j’avais eu l’illusion de croire écarter. Parmi les pentes irréversibles d’évolution dont je parle dans ce volume, il n’en est peut-être pas de plus impossible à remonter que celle qui a conduit un esprit philosophique de la curiosité des sciences naturelles à la passion des sciences sociales. Ainsi dois-je, en conscience, prévenir les géomètres et les naturalistes de ne pas trop se fier aux titres de quelques-uns de mes chapitres. Qu’il s’agisse d’oppositions mécaniques, ou physiques, ou vivantes, ou même psychologiques, c’est toujours, au fond, la question sociale qui est en cause. Elle est l’âme, apparente ou cachée, de toutes ces études, où toutes les antinomies de la nature sont pour ainsi dire convoquées et rassemblées pour résoudre ensemble l’éternel problème de la guerre, soit de la guerre sanglante, soit de la guerre atténuée et mitigée par la culture, mais toujours meurtrière et spoliatrice sous ses formes les plus adoucies.

Et c’est ainsi qu’un travail de philosophie générale, destiné à une sorte de délassement visuel de l’intelligence, se trouve être, à certains égards, — indirectement, il est vrai, et incidemment — une contribution au débat brûlant entre socialistes et économistes. Peut-être, en effet, pour bien comprendre la portée de cette querelle sans cesse renaissante, pour se rendre compte de la force contagieuse des uns malgré leurs chimères, de la faible résistance des autres malgré la solidité de leur savoir, convient-il de rattacher leur discorde à un problème plus