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Cimmériens (la transmigration des âmes étant un dogme constant de la religion des Kimris)[1].

D’un autre côté, on ne peut nier que les distinctions égyptiennes du principe intellectuel (khou), véritable génie divin, de l’âme (ba), du souffle vital (niwou), n’aient de singulières ressemblances avec les théories platoniciennes ; mais on n’est aucunement en droit, pour cela, d’attribuer à celles-ci une source étrangère. Au ive siècle, la pensée hellène a certainement conscience d’elle-même ; elle a dans sa force une foi qu’elle perdra plus tard, quand elle ira rechercher inutilement la vie dans la poussière morte des vieilles croyances barbares. Platon a pu connaître les opinions égyptiennes qui se rapprochent des siennes ; celles-ci n’en sont pas moins les vraies filles de son génie.

Au temps de Thalès, la situation est toute différente ; tout à l’heure l’originalité hellène va éclater ; pour le moment elle s’ignore ; elle cherche à tâtons autour d’elle, comme si elle avait besoin de matériaux, ou comme si elle n’osait rien tirer de son propre fonds. Mais, il faut le répéter, elle n’a ainsi guère ramassé de connaissances étrangères ; Thalès n’a rapporté d’Égypte, ni l’arithmétique qui est autre chose que d’imparfaits procédés de calcul ; ni la géométrie, car si ce qu’on y en savait méritait alors ce nom, nous lui donnons aujourd’hui un tout autre sens ; ni l’astronomie, car elle ne consiste pas dans quelques observations isolées ou quelques connaissances pratiques pour le calendrier ; ni enfin la philosophie, comme l’entendent les Ioniens, car de grossières conceptions cosmogoniques ou physiques ne doivent pas être confondues avec elle.

Qu’on examine maintenant, comme nous allons le faire dans le prochain chapitre, les opinions d’Anaximandre, on va sentir toute la différence. Voilà le premier qui essaie une explication mécanique de l’univers, qui soulève les éternels problèmes toujours posés devant nous sur la matière du monde, sur ses destinées ; c’est là le premier libre essor de la pensée hellène ; elle va vivre et grandir sur le sol fécond où le grain est tombé.

  1. Remarquons en passant qu’Artémis (Artimpasa) est une déesse du nord, honorée chez les Thraces (Bendis), chez les Tauro-Scythes. Apollon a probablement la même origine. Il est certain que, de très bonne heure, les Hellènes avaient été en relations étroites avec les peuplades riveraines de la mer Noire ; à partir de l’expédition de Darius, le lien fut brisé et ne se renoua qu’incomplètement.