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s’il n’aurait pas puisé ailleurs, et particulièrement à des sources grecques, les éléments principaux de son système.

C’est déjà l’opinion d’Aristote, qui ne connaît pas, bien entendu, la cosmologie égyptienne; il rapproche l’idée de Thalès de prendre l’eau comme premier principe, des mythes antiques où l’Océan et Téthys sont l’origine de la génération ; mais, en fait, ces mythes ne reposent guère que sur quelques vers homériques assez vagues; en particulier, dans celui que cite Aristote (Iliade, XIV, 201) :

Ὠκεανόν τε Θεῶν γένεσιν, καὶ μητέρα Τηθῦν,


si l’Océan et Téthys ont engendré des divinités, les Fleuves et les Océanides, Θεῶν γένεσιν ne peut pas plus signifier que le premier est l’ancêtre commun de tous les dieux, que l’épithète de Zeus, πατὴρ ἀνδρῶν τε Θεῶν τε, n’attribue à celui-ci la paternité et de tous les hommes et de tous les dieux.

Les cosmogonies hésiodique et homérique reposent en fait sur des conceptions absolument contraires ; c’est la terre qui est primordiale et, quelle qu’ait été la signification originaire du mythe de l’Océan (sa forme circulaire, sa monture ailée, dans Eschyle, semblent indiquer un emblème du temps), il n’est plus qu’un fleuve, père de tous les autres, mais qui, comme eux, a deux rives et qu’on traverse ; quant au ciel, il est solide (d’airain), comme le firmament phénicien ; il repose sur l’Atlas et le soleil et la lune y poussent leurs attelages.

Cette conception n’est d’ailleurs nullement en contradiction avec la légende que les astres se baignent dans l’Océan et y ravivent leur éclat.

A la vérité, les épithètes de γαιήοχος, d’εἰνοσίγαιος, données à Poséidon, semblent pouvoir s’interpréter comme liées à la représentation de la terre flottant sur l’eau et ébranlée par les mouvements de celle-ci ; or, on peut bien croire que cette explication des tremblements de terre était précisément celle de Thalès[1].

Mais ces épithètes sont certainement trop vagues pour constituer une preuve sérieuse, et il est clair que l’énorme puissance des flots

  1. On peut rappeler à ce sujet le fameux texte du papyrus de Chabas : La terre navigue selon ta volonté, où l’on a voulu voir la trace d’une antique croyance égyptienne au mouvement de notre planète. Cette hyperbole orientale, adressée à un personnage puissant, antérieur (?) à la construction des pyramides, peut faire allusion aux tremblements de terre en tout cas, elle indique nettement que la terre est conçue comme un disque flottant sur l’eau.