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On ne pont donc dire que, pour Thalès, la terre fut au centre du monde (13) ; comme le dit Eudème, ce fut Anaximandre qui, le premier, l’isola et la suspendit à ce centre.

Considérant la terre comme cylindrique, Thalès ne devait pas regarder le soleil et la lune comme des globes sphériques, mais s’il les croyait de nature terreuse (12), il y voyait des disques (opinion d’Anaximène), ou bien des bassins circulaires (croyance d’Heraclite), pouvant se retourner de façon à montrer un côté obscur.

Il ne devait donc pas posséder une autre explication des éclipses ou des phases de la lune ; je n’ai plus à revenir sur son ignorance de la véritable théorie de ces phénomènes.

Si Anaximandre a le premier spéculé sur les distances relatives des astres[1], Thalès devait tous les considérer comme également éloignés ; dès lors le soleil était pour lui aux limites du monde, doctrine persistante chez les Ioniens et qu’Archimède déclare être encore de son temps la plus généralement adoptée par les astronomes.

Enfin, Thalès ne s’occupait pas encore des planètes, car l’identité de l’étoile du soir et de l’étoile du matin n’a pas été enseignée avant Pythagore, que ce soit d’ailleurs Ibycus ou Parménide qui ait le premier publié cette découverte.

9. Pour restituer au moyen de ces données, tant positives que négatives, l’idée que Thalès pouvait se faire de l’univers, il suffit d’y ajouter un trait, son opinion connue que l’eau est le principe des choses, tout en remarquant que, pour les Ioniens, le principe n’est pas seulement l’élément primordial, mais celui qui remplit l’espace par delà les bornes de notre monde, engendré dans son sein.

On arrive dès lors inévitablement à la conception suivante : l’univers est une masse liquide qui renferme une grosse bulle d’air hémisphérique ; la surface concave de cette bulle est notre ciel ; sur la surface plane, en bas, notre terre flotte comme un bouchon de liège ; les dieux célestes nagent dans des barques circulaires lumineuses, tantôt sur la voûte (la concavité des disques est alors tournée vers nous), tantôt autour du disque terrestre (alors ils sont invisibles à nos yeux).

  1. Simplicius, De cœlo. fol. 115 a, d’après Eudème.