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n’aurait rien appris en Égypte. Nous voyons encore Eudème attribuer, par le même procédé, à Œnopide de Chios (plus d’un siècle après Thalès) l’invention d’un théorème tout aussi élémentaire que ceux auxquels nous venons de faire allusion, tandis que presque immédiatement après, Démocrite se vantera de ne le céder à aucun des géomètres de l’Égypte[1], et que, dès la génération suivante, Platon refusera à tous les Barbares l’épithète de φιλομαθεῖς[2], et ne leur accordera la supériorité qu’en astronomie, en tant que de longues observations leur ont assuré des connaissances plus précises. Et de fait, vers la même époque, le voyage en Égypte d’Eudoxe de Cnide a pour résultat de combler les lacunes de la science hellène sous ce rapport, nullement de développer la géométrie, dont l’essor est désormais assuré, et pour laquelle les Barbares sont dépassés de beaucoup.

À ce compte, comme il faut reconnaître d’ailleurs l’incontestable originalité des découvertes de Pythagore, il ne resterait rien, en fait, des emprunts faits par la Grèce à l’Égypte en ce qui concerne la géométrie. Une pareille conclusion serait certainement exagérée ; la vérité semble être que, si les Égyptiens n’ont jamais eu comme géométrie qu’un art, dont les Grecs ont fait une science, ils connaissaient dès longtemps les théorèmes prétendument découverts par Thalès ou Œnopide.

Il est évident qu’Eudème était convenablement renseigné, par la tradition pythagorienne, sur les travaux de la grande école mathématique dont les géomètres de l’Académie recueillirent l’héritage ; mais sur Œnopide, quoique celui-ci eût, lui aussi, fondé à Chios une école plus obscure, mais qui persista longtemps, sur Thalès, dont les successeurs intellectuels ne cultivèrent pas les mathématiques, l’historien n’avait que des données très vagues ; en vain essaie-t-il de faire illusion, en tirant de ces données des conséquences précises, en restituant même les expressions archaïques, il n’aboutit qu’à retracer des origines de la science un tableau incohérent et partant inacceptable.

En somme, ce que savait Thalès au juste comme mathématiques, nous l’ignorons ; c’était probablement plus, sur certains points,

  1. « Pour la combinaison des lignes avec démonstration, personne ne m’a surpassé, pas même en Égypte ceux qu’on appelle Arpédonaptes (ceux qui attachent le cordeau). » (Clém. d’Alex., Strom. 1) Le terme technique est d’origine grecque,
  2. République, IV, 436 a.