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Samos)[1] et mis en œuvre dans ce but qu’au iie (Hipparque). La prédiction faite par Thalès ne serait donc qu’une légende ; l’origine en serait que le sage Milésien aurait connu l’explication des éclipses et qu’il aurait peut-être tout au plus, d’après cette connaissance, annoncé la nécessité du retour de ce phénomène.

Si ingénieuse que soit cette explication, si séduisants que soient les motifs invoqués à l’appui par Th.-H. Martin, elle ne peut nous satisfaire. Tout d’abord, les textes anciens (Hérodote, I, 74 ; Eudème dans Clément d’Alex., Strom., I, 14) parlent uniquement d’une prédiction, non d’une explication. Le récit, d’après Diogène Laërce, remonte jusqu’à Xénophane, presque contemporain de Thalès ; comme preuve historique, il est difficile de demander plus, pour cette époque.

À la vérité, il est possible, probable même, que Thalès a donné une explication du phénomène ; mais il n’a certainement pas connu la véritable. Autrement, il serait inexplicable que, pendant un siècle après lui, tous les Ioniens aient épuisé leur imagination pour les solutions fantaisistes que nous aurons à rappeler. C’est Anaxagore de Clazomène qui, le premier, enseignera la doctrine scientifique, qui ne verra dans la lune qu’un corps obscur par lui-même, reflétant la lumière du soleil, qui permettra ainsi d’expliquer, du même coup, les phases, les éclipses de lune et celles du soleil ; c’est lui qui, le premier, rendra dans les fers témoignage pour la vérité.

Et encore Anaxagore lui-même n’était nullement en mesure d’analyser suffisamment les conditions des phénomènes ; ainsi pour expliquer comment les éclipses de soleil sont, en un même lieu, plus rares que celles de la lune, il admettait que ces dernières pouvaient être produites par l’interposition, entre le soleil et la lune, d’autres astres obscurs[2]. La théorie des éclipses ne commença à être vraiment débrouillée que deux siècles après Thalès, au temps d’Eudoxe de Cnide. Tant furent lents et pénibles les premiers progrès positifs dans la nouvelle voie suivie par les Grecs !

  1. Il y aurait quelques réserves à faire sur ce point ; Eudoxe de Cnide avait déjà dû arriver à des résultats comparables à ceux d’Aristarque pour la distance de la lune à la terre ; mais la valeur générale de l’argument n’en serait point ébranlée.
  2. Voir Schiaparelli, I precursori di Copernico nell’ antichità, Hœpli, Milan, 1873, page 6. — C’est dans une hypothèse de ce genre que se trouve l’origine de l’invention de l’antichthone dans le système de Philolaos. Au reste, la première conception d’astres obscurs parait remonter à Anaximène.