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Comme nous n’avons aucune raison de maintenir le système de l’acmé, nous n’avons nullement, de ce chef, à modifier la date hypothétique d’Apollodore pour la naissance de Thalès ; celui-ci peut avoir tout aussi bien prédit[1] son éclipse à 27 ans qu’à 40.

Je crois avoir donné, sur les questions diverses que soulève la date de ce phénomène, des éclaircissements plausibles ; mais, si ce problème célèbre reçoit, de notre temps encore, trois solutions distinctes entre lesquels se partagent les savants, la raison doit en être énoncée. C’est surtout, parce que les historiens ne se rendent pas suffisamment compte de ce que peuvent et de ce que ne peuvent pas faire les astronomes dans une question de ce genre ; parce que, d’un autre côté, les astronomes, à leur tour, se contentent trop qu’une thèse ait été soutenue par un historien pour la regarder comme historiquement possible.

L’astronomie est assez avancée aujourd’hui pour déterminer non seulement la date exacte, mais aussi l’heure précise des éclipses totales qui ont eu lieu dans une période donnée du passé. Mais, pour une époque aussi ancienne, elle ne peut plus déterminer avec une précision suffisante les points du globe où une éclipse a été visible comme totale. Il règne en effet, sur un des éléments du calcul à faire dans l’objet, l’accélération du mouvement moyen de la lune, une incertitude qui ne pourrait précisément être dissipée que par la connaissance complète des circonstances d’une éclipse aussi reculée. Loin donc de pouvoir déterminer effectivement si telle éclipse a été celle de Thalès, les astronomes auraient à l’apprendre des historiens pour corriger leurs tables.

5. La prise de Sardes par Cyrus. — Nous avons déjà vu qu’Apollodore et Sosicrate avaient pris la fin du règne de Crésus comme coïncidant avec la mort de Thalès. Évidemment son âge était alors très avancé, mais nous n’avons pas de motifs suffisants pour adopter sans réserves cette opinion probablement arbitraire[2] et nous devons regarder la date de la mort du

  1. Pour la question de l’époque où il vivait, il importe même très peu qu’il l’ait prédite ou non, ce que nous discuterons dans le prochain chapitre, en parlant de ses connaissances astronomiques ; le fait, c’est que la légende suppose qu’il avait âge d’homme lors de cette éclipse de 610 ; il ne pouvait donc être que très vieux à la fin du règne de Crésus.
  2. Elle pouvait s’appuyer sur le passage où Hérodote (I, 170) oppose les deux conseils politiques donnés aux Ioniens, l’un par Bias de Priène, après la conquête des Perses, l’autre par Thalès auparavant ; du moins cette opposition conduit à supposer que pour Hérodote, Thalès ne vivait plus au moment de la lutte contra Mazarès et Harpage.
    Mais le sens peut être tout autre ; le conseil de Bias parait avoir été développé dans un poème (2,000 vers, Diog, L., I, 85). Peut-être, au temps d’Hérodote, circulaient également des vers attribués à Thalès et ayant un but politique ; peut-être, comme ceux de Bias, portaient-ils leur date en eux-mêmes, sans qu’Hérodote en sut davantage sur le moment de la mort de Thalès.