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POUR L’HISTOIRE DE LA SCIENCE HELLÈNE.

23. On peut aussi proposer des objections à propos de la pensée. Si en effet elle se produit comme d’après lui la sensation, elle appartiendra à toutes choses. Mais comment est-il possible que la pensée ait lieu à la fois avec un changement et par l’action du semblable ? Le semblable n’est pas altéré par le semblable. Attribuer la pensée au sang est d’ailleurs complètement absurde ; il y a beaucoup d’animaux qui n’ont pas de sang, et chez ceux qui en ont, ce sont les organes des sens qui en sont le moins pourvus. Enfin il faudrait que les os et les cheveux sentissent aussi, puisqu’ils sont aussi bien composés de tous les éléments. Mais il confond d’une part la pensée, la sensation, le plaisir, de l’autre la souffrance et l’ignorance, puisqu’il produit ces deux dernières par les dissemblables ; il faudrait donc que la souffrance accompagnât l’ignorance, et le plaisir la pensée.

24. Il n’est pas moins absurde d’attribuer les facultés au tempérament du sang dans les parties, comme si la langue était la cause de l’éloquence ou les mains celle de l’habileté de l’artiste, comme si ce n’étaient pas là de simples instruments. Il vaudrait mieux attribuer la cause à la forme plutôt qu’au tempérament du sang, qui est étranger à l’intelligence ; cette façon de faire serait justifiée par la comparaison des divers animaux.

Il semble donc qu’Empédocle ait commis de nombreuses erreurs.

25. De ceux qui n’attribuent pas la sensation au semblable Alcméon commence par définir la différence par rapport aux animaux. L’homme, dit-il, en diffère parce qu’il est seul intelligent : les autres animaux ont la sensation, non l’intelligence ; la pensée serait donc distincte de la sensation et non pas la même chose, comme pour Empédocle. Puis il parle de chaque sens en particulier : nous entendons, dit-il, grâce au vide qui existe dans les oreilles, et qui résonne ; de même on parle par un creux, et l’air fait une contre-résonance. Nous sentons par les narines en respirant et en faisant ainsi remonter le souffle au cerveau. La langue discerne les saveurs ; tiède et de peu de consistance, la chaleur la ramollit ; d’un tissu lâche et délicat, elle reçoit les sucs et les distribue.

26. Les yeux voient à travers l’eau qui en forme la périphérie ; mais qu’ils contiennent du feu, cela est clair ; un coup sur l’œil le fait jaillir. La vision tient à l’éclat et à la diaphanéité de ce feu, qui répercute la lumière, d’autant mieux qu’il est plus pur. Tous