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avant de disparaître, elle n’a pas joué un rôle considérable et influé d’une façon décisive sur les conceptions qui devaient lui succéder.

Reprenons donc la théorie d’Anaxagore et cherchons à répondre d’après elle aux questions qui se poseront dans l’âge suivant.

Pourquoi telle chose est-elle dite être ce qu’elle est? C’est parce qu’elle participe à telle espèce; elle est dite chaude parce qu’elle participe du chaud, etc.; mais le chaud y est seulement présent, il est loin de la constituer tout entière.

Au contraire, la même chose participe également du froid ; elle est donc chaude ou froide relativement aux termes de comparaison choisis ; le froid absolu ou le chaud absolu n’existent pas dans la nature, mais tous les corps naturels participent à ces deux espèces.

Bien plus, les corps se forment et se détruisent, les êtres naissent et meurent, le chaud et le froid échappent au devenir; ces espèces subsistent éternellement sans altération.

Ces formules diverses ne se trouvent point dans les fragments d’Anaxagore, et il n’y a pas à les lui attribuer; mais c’est seulement parce qu’il n’avait pas à répondre aux questions indiquées ; autrement, pour tout esprit non prévenu, c’est bien ainsi qu’il y eut répondu. Lorsque ces questions furent soulevées, ce fut donc là la doctrine qu’on trouva implicitement dans ses écrits.

Or, à qui appartiennent les formules ci-dessus? Ai-je besoin de dire que je les emprunte à Platon et que j’aurais pu multiplier les rapprochements ?

Sans doute il y a tout autre chose dans le platonisme; les espèces d’Anaxagore sont des qualités physiques, les e(or t du Maître peuvent être purement abstraites ou correspondre à des qualités morales; les unes sont nettement immanentes à la matière, on peut des autres soutenir qu’elles sont transcendantes (yopu-ri).

Mais si la théorie des Idées est incontestablement une création originale, où trouvera- t-on dans les doctrines antérieures quelque chose qui en soit réellement plus voisin que la conception d’Anaxagore? Il est vraiment singulier qu’Aristote, voulant nous éclairer sur le développement de la pensée de Platon, nous renvoie aux formules pythagoriennes sur les nombres comme essences des choses, et que nous répétions encore cette explication plus obscure que la théorie à interpréter. La doctrine d’Anaxagore, au contraire, bien conçue par un esprit philosophique, c’est-à-dire capable d’abstraction et de généralisation, si cet esprit se trouve en présence