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Le sens de ce passage est certainement le même que celui des propositions analogues du fragment 16, propositions que j’ai traduites à la lettre. Voici comment il me semble qu’on doive les entendre :

Anaxagore affirme, contre Zenon, la coexistence de la pluralité dans l’unité; mais cette pluralité est pour lui celle de substances toujours confondues, aussi bien dans les grandes masses que dans les petites, et que la division n’arrivera jamais à séparer. J’emploie d’ailleurs inexactement ici le terme de substances, car, en fait, ce sont des qualités que considère Anaxagore sous un concept encore vague et mal défini. Le fragment 13 montre bien que sous l’unité du cosmos, c’est à la pluralité du froid et du chaud, etc., que s’attache le Glazoménien, et c’est celte pluralité qu’il déclare ne pouvoir être résolue en unités distinctes par la division mécanique, quoique la distinction existe parfaitement, soit pour les sens, soit au moins pour l’intelligence.

Il affirme donc que toutes choses sont encore confondues comme à l’origine, quoiqu’il y ait eu ici diminution des unes, là augmentation des autres. La pluralité des substances (qualités) confondues est donc toujours la même en tout corps et cela d’ailleurs qu’il soit grand ou qu’il soit petit. C’est bien là sa thèse, comme nous l’avons exposée plus haut. On voit en même temps comment la question de la pluralité dans l’unité a été détournée du terrain où l’avait posée Zenon et comment les sophistes, Platon, puis Aristote, ont eu à la traiter pour la pluralité des attributs.


IV. — Influence historique de la conception d’Anaxagore

10. Je crois inutile d’insister davantage sur la conception d’Anaxagore et de faire ressortir plus amplement comment elle satisfaisait heureusement aux conditions du problème tel qu’il le voyait posé devant lui, à quel point elle conciliait harmonieusement la croyance monistique des Ioniens et le pluralisme des oppositions pythagoriennes ; son plus grave défaut était la subtilité d’esprit qu’elle exigeait, surtout à l’époque où elle apparut, pour être parfaitement comprise dans sa rigueur géométrique et sa nécessité logique. Si elle n’offrait pas prise aux arguments d’un Zenon, elle n’en était pas moins exposée à être bientôt méconnue, et c’est ce qui lui arriva sans contredit ; il nous reste à examiner si néanmoins,