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façon dont il se comportera par rapport aux sens pour le phénomène considéré.

Il est clair qu’une pareille conception de la matière se prêtera parfaitement à tous les calculs mathématiques, à toutes les combinaisons logiques nécessaires pour l’explication des phénomènes; c’est tout ce que j’ai voulu affirmer, car je ne veux point examiner quels seraient ses inconvénients ou ses défauts, si elle serait plus ou moins commode, il suffit qu’elle soit possible.

Si j’ajoute que la théorie que je viens d’exposer est en somme celle de Kant, je n’aurai pas besoin d’invoquer de nouveaux arguments. Je n’ai plus qu’à examiner jusqu’à quel point elle diffère de celle que professait Anaxagore.

8. Nous n’avons certes pas à attendre du Clazoménien toute la rigueur des concepts du philosophe de Kœnigsberg; nous pouvons sans doute accorder que quelques écarts de doctrine, justifiés par l’état de la science à son époque, ne constitueront pas une divergence irrémédiable. Nous devons surtout ne pas exiger de lui qu’il ait conçu, dans toutes ses conséquences, l’application mathématique de ses principes; personne alors n’avait l’idée des règles à suivre dans l’objet, pas plus que personne ne pouvait soupçonner, lors de l’invention des atomes par Leucippe, de quelle façon la mécanique en devait être traitée.

Or, si l’on fait ces concessions et si l’on étudie avec soin les textes d’Anaxagore, on sera étonné de voir à quel point il semble être resté fermement attaché à l’ordre d’idées que nous avons développé.

Le point capital est la question de savoir comment il considérait ses éléments, soit comme des parties d’un mélange, soit comme des qualités inhérentes à la matière, mais variables en degré d’un corps à l’autre.

A la façon dont on expose d’ordinaire son système, avec le terme à’homéomères inventé par Aristote et avec les explications dont celui-ci l’accompagne, la question semble tranchée d’un coup en faveur de la première alternative; mais, si l’on examine les fragments, on n’y voit rien de semblable : Anaxagore ne parle que de qualités, l’humide, le sec, le chaud, le froid, lumineux, l’obscur, le dense, le ténu, et il énonce formellement (fr. 8) que c’est par la concentration de ces qualités que se produit, d’une part, la terre, de l’autre, l’éther.