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offusquée, tandis que dans le cercle d’ombre la lueur des astres apparaît sans aucune diminution; c’est-à-dire que, si le soleil disparaissait, le ciel tout entier nous présenterait la même apparence que la voie lactée.

Cette conjecture, au point de vue purement physique, est certainement ingénieuse pour l’époque; elle montre en tous cas combien Anaxagore se préoccupait des lois de l’éclairement dont il avait fait une première et heureuse application ; mais elle semble en même temps prouver qu’il ne se souciait nullement d’une observation tant soit peu exacte. Autrement il aurait immédiatement reconnu que la voie lactée garde toujours la même situation par rapport aux fixes, tandis qu’une trace de l’ombre terrestre sur le ciel aurait à se déplacer singulièrement en même temps que le soleil ; d’autre part, la lune aurait dû s’éclipser toutes les fois qu’elle traverse la voie lactée, conséquence dont il était également facile de vérifier la fausseté.

Je m’arrête encore à une opinion assez singulière qui ne nous est, à proprement parler, conservée que sous le nom de son disciple Archélaos, mais qu’il a probablement déjà professée : la surface de la terre serait concave et ce serait ainsi qu’on devrait expliquer que le jour et la nuit ne se produisent pas immédiatement sur toute la surface.

Comment, d’un fait dont les circonstances ne pouvaient être absolument méconnues, a-t-on pu tirer précisément la conséquence opposée à celle qui doit en être conclue? Les Grecs ne pouvaient ignorer que pour les Perses, par exemple, le soleil se levait plus tôt ; Anaxagore devait donc supposer les Perses sur le plateau entourant la concavité, l’Asie-Mineure sur le versant vers le creux intérieur, la Grèce encore plus bas sur le même versant (convexe) ; passé un certain point vers l’occident, il n’avait plus de notions exactes et supposait les faits contraires à ce qu’ils sont en réalité [1].

Ainsi Anaxagore nous apparaît plutôt comme un hardi constructeur d’hypothèses scientifiques que comme un véritable astronome, sachant observer et contrôler ses hypothèses.

Comme météorologiste, il ne se montre pas en avance sur Anaximène; comme naturaliste, il aborde un terrain que les premiers physiologues ioniens avaient négligé, mais on ne voit pas

  1. On sait que Platon, dans le Phédon, essaie encore de concilier cette singulière hypothèse avec la doctrine de la sphéricité de la terre.