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CHAPITRE XI. — MÉLISSOS DE SAMOS. 267

qu'il pouvait le faire en tout cas, Tordre d'idées que je viens d'exposer, les lacunes de ses fragments sont de telle nature qu'on n'est nullement obligé de prendre pour l'enchaînement réel de ses thèses celui qui apparaît dans leur succession; l'être est éternel, donc il est infini, donc il est un. Il a pu raisonner comme suit : L'être est éternel ; mais pour affirmer son éternité, il faut le concevoir dans sa totalité; or, la totalité, pour lui, implique Finfinitude et l'unité.

4. L'immutabilité de l'être, sur laquelle s'étendait ensuite Mélissos, est une conséquence immédiate de son point de départ même; il convenait cependant qu'il précisât, comme il l'a fait, dans quels termes il l'entendait, à la suite des déterminations précédentes.

Parmi les négations qu'il fait rentrer dans cette immutabilité, celle de la douleur et du chagrin attirent particulièrement l'atten- tion. Elles tendent à faire penser que Mélissos considérait effecti- vement son Être comme le Dieu et lui attribuait ou était au moins porté à lui attribuer la conscience immuable de son éternelle stabilité. Cette conséquence ne doit pas être considérée comme en contradiction avec le témoignage de Diogène Laërce (IX, 24), suivant lequel Mélissos aurait dit qu'il ne faut rien affirmer des dieux, parce qu'ils sont inconnaissables. Il s'agit là, suivant toute probabilité, des divinités populaires.

Mais les négations auxquelles nous avons fait allusion, étaient- elles seulement provoquées par les mythes vulgaires ? Cela paraît difficile à croire; pourquoi Mélissos les aurait-il choisies plutôt que tant d'autres, parmi toutes celles dont Xénophane lui avait donné l'exemple? Il semble donc qu'il réfute une assertion spéciale, que nous ne savons guère à qui attribuer. Visait-il le dieu satiété-faim d'Heraclite (fr. 86) ou quelque expression d'Empédocle relative à la ruine du Sphéros? La première alternative me paraît plus probable.

Une question d'ailleurs se pose ici que l'état de la chronologie ne permet point de trancher. Alors que Mélissos fait des allusions expresses aux physiciens, quels sont ceux qu'il a considérés, quels sont au contraire ceux qui lui sont certainement inconnus?

Éd. Zeller (II, p. 91) admet qu'il a eu égard à Empédocle, en démontrant l'indivisibilité de l'être et l'impossibilité du mélange, aux atomistes, dans les arguments qu'il dirige contre le mouve-

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