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CHAPITRE XI. — MÉLISSOS DE SAMOS. 265

ment d'établir ces équivalences, de spécifier par suite ce qui reste constant et invariable au milieu du flux perpétuel des choses. Tout phénomène, une fois que la science s'en est rendue maîtresse, se trouve déterminé par une équation entre l'effet et la cause ; cette équation exprime justement la constance et l'invariabilité qui nous permettent d'arriver à la connaissance du mobile et du changeant.

La forme sous laquelle se détermine ainsi ce qui, dans l'univers, est constant, se trouve, bien entendu, relative au mode de notre connaissance; elle est empreinte dès lors d'éléments subjectifs que nous devons renoncer à éliminer. Mais cela importe peu au fond ; il n'en est pas moins clair que sous ce voile qui le déguise encore et qui ne sera jamais levé, nous saisissons l'« être » au sens antique.

C'est ainsi que la science reconnaît la permanence de la masse, celle de la quantité de mouvement, de la somme des moments des quantités de mouvement, enfin qu'elle postule celle de la force vive. Ces diverses déterminations sont essentiellement abstraites ; leur diversité et même leur indépendance ne masque certainement pas d'ailleurs l'unité du monde phénoménal, car on peut sans doute les concevoir comme rentrant sous une loi complète dont nous n'avons fait jusqu'à présent que reconnaître quelques traits.

3. La permanence de l'« être » ainsi déterminé par la science résulte d'un postulat primordial de la raison — rien ne se fait de rien — déjà admis au sens concret par les premiers penseurs hellènes, envisagé abstraitement par Mélissos, mais que nous pouvons plus clairement formuler que lui. « Il y a équivalence entre la cause et l'effet, entre l'état antérieur et l'état postérieur. » Cette permanence implique immédiatement l'éternité dans les deux sens. Il n'y a pas de commencement à la série des causes; il n'y a pas de fin à la série des effets.

De l'éternité, Mélissos conclut à l'infinitude et de l'infinitude à l'unité. C'est sur la seconde conclusion que porte surtout la critique d'Aristote.

En fait, à nos yeux, l'unité correspond à la nécessité de tenir compte, pour l'équivalence de cause à effet, de la totalité des causes et de la totalité des effets, de considérer l'état antérieur et l'état postérieur dans toute l'extension de l'univers. L'infinitude (qui au reste n'est pas un dogme universellement reconnu), correspond au contraire à l'impossibilité de supposer la série des

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