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INTRODUCTION.

Ces questions ne peuvent évidemment être débattues qu’en détail, sur chaque cas particulier, et malheureusement elles ne sont guère susceptibles en général, dans l’état actuel de nos connaissances, de recevoir une solution assurée. Rien ne serait, par exemple, plus intéressant que de connaître avec précision jusqu’à quelle époque se sont conservés dans leur intégrité les ouvrages d’Héraclite ou d’Empédocle ; mais il nous faut, là-dessus, avouer notre ignorance. Toutefois, plus on pénétrera dans l’inconnu que nous offre encore l’histoire de l’antiquité, plus on sera porté, je crois, à admettre qu’une citation, surtout faite par un auteur de la décadence, ne doit nullement faire préjuger qu’il la tire directement de l’ouvrage cité.

En dehors des classiques, les écrits de date ancienne ont toujours été, dans l’antiquité, très rares et très chers, sinon absolument introuvables en dehors des grandes bibliothèques[1]. La plupart du temps, on se contentait donc de puiser ses informations dans des compilations ou des recueils polygraphiques, comme il nous en reste encore quelques-uns sur divers sujets, mais comme nous savons pertinemment qu’il en a existé un nombre beaucoup plus considérable, et dont nous ne pouvons douter qu’ils ne fussent toujours refaits, comme nos dictionnaires, en grande partie les uns sur les autres[2].

  1. Aussi la destruction du Serapeum en 389, sous Théodose le Grand, marque-t-elle une date à partir de laquelle la conservation de bon nombre d’ouvrages anciens devient au moins très improbable.
  2. Combien de fois voit-on de nos jours des érudits, et des plus consciencieux, citer telle page et telle ligne d’un volume qu’ils n’ont jamais eu entre leurs mains ! C’est la conséquence forcée du système de citations à la mode, et qui, indispensable pour certains ouvrages, n’en est pas moins inutile et, par suite, abusif la plupart du temps. Il y a là un étalage d’érudition aussi facile qu’illusoire ; qui s’est donné la peine de vérifier, par exemple, cent citations de suite dans tel ouvrage moderne, même des plus justement renommés, peut savoir seul combien il a chance d’en trouver d’inexactes ou de complètement fausses sur cent autres au hasard.
    Une règle nouvelle, bonne en soi, prescrit, quand on cite d’après un intermédiaire, de donner l’indication précise de la référence. Mais qui garantit au lecteur l’exactitude de l’intermédiaire ? Le remède inventé pour parer aux abus que je signalais tout à l’heure, n’est donc qu’un palliatif insuffisant.
    Si je me permets ces remarques, c’est au reste en partie pour me justifier de n’avoir pas grossi ce volume de l’apparat ordinaire des citations ; j’ai cru pouvoir me conformer à deux principes qui me paraissent, dans l’objet, nécessaires et suffisants : 1o ne jamais citer avec précision un travail sans l’avoir lu intégralement ; 2o se borner à l’indispensable, c’est-à-dire aux seuls cas où l’on peut désirer que le lecteur, pour être mieux convaincu, ait effectivement recours à l’ouvrage invoqué.