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CHAPITRE IX. — PARMÉNIDE D’ÉLÉE.

Les dénominations de Δίκη et de Κλῃδοῦχος indiquées par le doxographe pour cette divinité semblent provenir d’une confusion occasionnée par le vers 44 du prologue. Le nom d’Ananké paraît au contraire garanti par Platon (Banquet, 195 c) dont le langage confirme aussi le passage où Cicéron (9) fait naître, après l’Amour, la Guerre et la Discorde. Nous voilà bien près de la Philotès et du Neikos d’Empédocle.

Ces personnifications mythiques sont absolument spéciales à l’école pythagorienne, qui en a abusé jusqu’à attribuer aux nombres de la décade des noms de divinités[1]. L’origine de cette coutume parait remonter jusqu’au Maître, quoique la plupart des fantaisies auxquelles elle a donné lieu soient évidemment très postérieures. Du reste, la plus grande liberté semble avoir été constamment laissée à ces fantaisies ; il importe donc peu de rechercher si Parménide a ou non usé de la sienne, s’il s’est ou non inspiré d’Hésiode ; le point important n’est pas tant la forme mythique dont il a usé que le fait qu’il en a employé une.

Cet anthropomorphisme poétique avait été le premier procédé par lequel l’esprit aryen, prenant conscience de lui-même, avait essayé de distinguer de la matière des choses les forces qui les actionnent ; au début de la science hellène, il sert encore au même usage, et bien qu’il soit désormais incapable de donner la vie à la moindre divinité, bien qu’il se réduise à un froid symbolisme, l’école pythagorienne lui restera obstinément et inutilement fidèle. Mais, sous ce symbolisme, l’historien ne peut méconnaître que, pour la première fois, le dynamisme est formulé et qu’il est en fait aussi caractérisé qu’il le sera bientôt chez Anaxagore.

Jusqu’alors au contraire, chez les Ioniens, la confusion existe, et les distinctions de tendances que Ritter a voulu établir au sein de l’hylozoïsme ne sont nullement justifiées. Héraclite est, parmi eux, le premier chez qui la tendance dynamique se marque, et nous avons remarqué que, comme Pythagore, au fond il est théologue. Quant au véritable mécanisme, il ne fut posé que


    matiquement l’opposition mâle-femelle à son dualisme fondamental, il faudrait (voir pages 216 et 228) qu’ici le mâle désignât l’élément sombre, la femelle, l’élément lumineux. Ceci paraît bien douteux.

  1. D’après la tradition des Theologumena, l’Ananké est la décade (aussi κλῃδοῦχος) ; elle limite la sphère de l’univers, mêle et sépare toutes choses, produit le mouvement et entretient la génération continue des êtres. C’est si voisin de Parménide, qu’on doit se demander si cette donnée ne représente pas seulement son opinion, à part l’identification avec la décade, symbole de l’univers.