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CHAPITRE IX. — PARMÉNIDE D’ÉLÉE.

plus loin devint bientôt, dans ce cercle, une occupation courante. D’autre part, le succès même avait suscité des contradictions et Parménide était appelé à défendre verbalement ses opinions.

Le peu de précision de sa langue poétique, défaut que, malgré tout son talent, il lui était impossible d’éviter, dut exercer, dans ces discussions, une influence notable et les faire dévier de leur objet réel. Tel vers (p. ex. 40 ou 94), écrit dans un sens réaliste, peut aujourd’hui être traduit dans la formule idéaliste la plus nette, et pouvait alors apparaître comme un paradoxe audacieux, un défi au sens commun. Loin de faire des concessions, l’ardent Zénon alla de l’avant, prit résolument l’offensive et jeta aux contradicteurs des négations encore plus incroyables. Si Parménide ne lui avait pas déjà donné l’exemple, il dut sans doute le suivre jusqu’au bout et ne pas déserter sa propre cause.

Quant à Mélissos, il est clair qu’il imite la dialectique de l’École, mais qu’il l’ait connue autrement, que par les écrits qu’elle avait publiés, qu’il ait suivi l’enseignement verbal, c’est ce qui ne peut être établi historiquement. Jusqu’à preuve contraire, les thèses qui lui appartiennent en propre ne peuvent donc être mises au compte ni de Zénon ni de Parménide.


II. — Le Dualisme physique de Parménide.


6. J’aborde maintenant l’examen des doctrines développées dans la seconde partie du poème de l’Éléate et que je regarde comme méritant une étude d’autant plus attentive qu’elles peuvent nous éclairer sur la nature des doctrines contemporaines dans l’école pythagorienne.

Comme l’a très bien reconnu Éd. Zeller, ce sont en effet des opinions étrangères, nullement les siennes propres, qu’expose Parménide en physique. Il est vraiment singulier que l’illustre historien ne se soit pas sérieusement demandé à qui appartenaient ces opinions, qui bien certainement n’étaient pas vulgaires. Le dualisme établi dès le début de l’exposition exclut les théories ioniennes et nous jette en plein pythagorisme.

Diels (l. c., p. 253) m’oppose que, malgré leur thèse monistique, les Milésiens, pour expliquer la formation du monde, recouraient à l’opposition de qualités contraires, comme le froid et le chaud (Anaximandre) ou le dense et le subtil (Anaximène), couples qui