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CHAPITRE IX. — PARMÉNIDE D’ÉLÉE.

Parménide ne s’est point préoccupé, ai-je dit, de mettre d’accord son univers physique avec les conditions de son univers théorique. Mais aucun obstacle sérieux n’empêchait cet accord ; pour l’établir, que faut-il ? Deux choses, dont l’une au moins a été indiquée par lui : il faut rejeter le dualisme pythagorien concret et revenir au monisme d’Anaximandre ; d’autre part, pour obtenir l’immobilité de l’ensemble de l’univers, malgré les apparences de la révolution diurne, il suffit d’affirmer, au-dessus des feux célestes, le repos de la couche supérieure, de l’ἕσχατος ὄλυμπος.

À cela nulle difficulté ; si Parménide n’est point entré dans cette voie, c’est qu’en somme il a trouvé le dualisme plus commode pour l’exposition physique et qu’il a jugé impossible d’arriver à la certitude avec une explication monistique des phénomènes.


4. Ainsi le rôle de Parménide, tel du moins qu’il nous apparaît dans son poème, est d’avoir, le premier, essayé de jeter les bases de ce que nous appelons la théorie de la connaissance. Déjà l’enseignement pythagorien des mathèmes avait fait sentir la différence entre la rigueur des démonstrations abstraites et l’incertitude des conjectures par lesquelles on essaie de s’élever au-dessus des données immédiates de l’expérience concrète. Parménide cherche ce que l’on peut établir par la seule logique relativement à l’univers ; voilà la vérité, voilà la certitude. Le reste est loin d’être négligeable ; mais il faut reconnaître les limites de l’esprit humain et se contenter du plus ou moins plausible, suivant la nature des questions.

Son point de départ, pour ses démonstrations exactes, est faux ; par suite, ses conséquences sont erronées. Il n’en a pas moins l’immortel honneur d’avoir posé très justement la question ; de son temps, la science de la nature, eu égard aux problèmes abordés par les Ioniens, ne pouvait s’élever au-dessus du probabilisme ; il fallait de longs travaux et des études infinies de détails, avant d’apprendre quel genre de certitude peuvent donner l’observation et l’expérience. Mais même aujourd’hui, nous devons toujours soigneusement distinguer, dans la science, entre l’hypothèse utile ou commode et la vérité rigoureusement déduite.

Quelle peut être maintenant l’origine des prémisses servant aux démonstrations exactes ? Si elles remontent à l’expérience, elles sont entachées d’incertitude dans les limites des erreurs des sens ; leurs conséquences peuvent-elles être valables autrement que par