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INTRODUCTION.

8. Jusqu’à Platon, les penseurs hellènes, en presque totalité, ont été, non pas des philosophes, dans le sens qu’on donne aujourd’hui à ce nom, mais des physiologues, comme on disait, c’est-à-dire des savants. Peu importe que leur science n’ait été qu’un tissu d’erreurs ou un échafaudage d’hypothèses inconsistantes ; l’erreur est le chemin de l’ignorance à la vérité, l’hypothèse, en tant qu’elle peut être vérifiée, est le moyen d’acquérir la certitude. L’histoire des origines de la science doit, avant tout, s’attacher à ces erreurs, scruter ces hypothèses des premiers temps ; elle a à démêler en quoi les unes ont servi au progrès, en quoi les autres l’ont entravé.

Or, le noyau des systèmes des anciens physiologues n’a jamais été une idée métaphysique, mais bien la conception générale que chacun d’eux se formait du monde, d’après l’ensemble de ses connaissances particulières. C’est seulement de ces conceptions concrètes qu’ils ont pu s’élever aux abstractions, encore insolites alors, qui sont devenues depuis le domaine propre de la philosophie, tandis que les savants spéciaux s’en désintéressaient de plus en plus.

Dès lors, pour reconstituer ce noyau, pour restituer cette conception générale, il faut évidemment faire passer en première ligne ces opinions spéciales sur les divers points de la physique, qui, dans l’histoire philosophique, sont au contraire mises au dernier rang et plus ou moins négligées ; ce sont ces opinions qu’il s’agit, avant tout, de rattacher entre elles et d’expliquer, si faire se peut, dans leur filiation historique. On voit que l’ordre d’idées à suivre est aussi contraire que possible à celui que réclame l’histoire philosophique.

À quels résultats peut conduire l’application systématique de cette méthode, on le reconnaîtra dans les monographies particulières que renferme ce volume. Si imparfaits que puissent être encore ces premiers essais, j’ose dire qu’on ne peut espérer autrement mettre l’ordre et la clarté où régnaient la confusion et l’incertitude ; mais surtout cette méthode conduit à reconnaître une unité singulière et un lien tout naturel entre des doctrines que l’on se plaît à considérer, du point de vue philosophique, comme discordantes et contradictoires.

9. Ces discordances et ces contradictions existent en effet sur le terrain métaphysique ; mais, en thèse générale, il s’agit de questions