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ce soient eux qui la lui aient prise ; il s’exprime en tout cas d’une façon analogue, lorsqu’il dit que la plupart des choses humaines sont deux ; ce n’est point qu’il choisisse comme eux des oppositions déterminées, il les prend au hasard, comme blanc-noir, doux-amer, bon-mauvais, grand-petit. Il laisse les autres indéfinies, tandis que les pythagoriens ont précisé combien il y a d’oppositions et quelles elles sont. »

Comme le remarque Éd. Zeller, il est très vraisemblable que cette classification, qui, comme le dit expressément Aristote, n’appartenait qu’à une partie des pythagoriens, est d’une date peu reculée, j’entends postérieure à Philolaos. Mais l’idée même de dresser des séries d’oppositions, de procéder comme le faisait Alcméon, dut être, au contraire, dans l’École, très antérieure à la théorie qu’Aristote décrit en première ligne comme propre aux pythagoriens, à cette théorie qui fait du nombre l’essence des choses et qui reconnaît comme éléments du nombre, donc des choses, le pair et l’impair, identifiés avec l’illimité et le limité.

Cette dernière théorie est incontestablement celle de Philolaos, et il faut la lui laisser. Après les abstractions de la dialectique du Ve siècle, son apparition est un phénomène explicable ; dans le cercle de notions absolument concrètes auquel Parménide a le premier essayé d’échapper, cette théorie est de tous points impossible.

Qu’on fasse remonter, si l’on veut, à Pythagore lui-même l’idée du rôle des nombres dans la nature, qu’on lui attribue telle formule qu’il plaira, il n’en est pas moins clair que, pour une époque où le sens du mot être n’est encore rien moins que précisé, on n’aura pas le droit d’attribuer à cette formule une signification bien précise.

L’expression : « les choses sont nombres », telle qu’Aristote nous l’explique, a une portée qui semble déjà dépasser la pensée de Philolaos, car cette explication est postérieure à la théorie des idées platoniciennes ; avant Philolaos, la même expression pouvait au plus signifier que les choses sont formées par des combinaisons en proportions définies (Empédocle) d’éléments géométriquement figurés (Timée). Mais antérieurement à ce dernier stade, il y en a eu un autre, où les nombres ne sont apparus que pour d’enfantins essais de classifications qui ne sont nullement spéciaux au génie hellène, mais qui, sur le sol grec, ont acquis une sérieuse importance.