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pour conclure. C’est surtout qu’il méconnaît ce fait indéniable que, si les concepts de conscience et de personnalité n’étaient nullement éclaircis, les notions vulgaires correspondantes n’en étaient que plus vivaces, plus prêtes à servir d’attributs affirmés par l’imagination, sinon par le raisonnement.

La difficulté véritable est tout autre, et, pour la bien saisir, il faut se rappeler quelle a été réellement l’origine de l’élaboration du concept de personnalité. C’est la théologie qui, sur ce point, a mené la discussion, aux premiers siècles de l’ère chrétienne, à l’occasion du dogme de la Trinité, plus tard sur celui de la Grâce.

Comment une distinction de personnes et de consciences peut-elle se concilier avec l’unité de la substance ? Comment le for intérieur de chacun de nous peut-il être accessible à une intelligence à laquelle on veut accorder la suprématie et l’universalité ? Pour peu qu’on y réfléchisse, il est évident, que ces problèmes sont soulevés presque identiquement par les croyances d’Héraclite. Si le feu divin possède une intelligence, une conscience propres, s’il est effectivement la véritable substance dont l’âme humaine est formée, comment concilier cette conscience universelle et les consciences particulières ?

Dire qu’Héraclite s’est nettement posé ce problème, serait évidemment trop s’avancer. Le seul fragment 58 où il semble quelque peu l’indiquer : « Il faut donc suivre ce qui est commun ; le logos est commun, mais la plupart des hommes vivent comme s’ils avaient une sagesse propre, » paraît avoir principalement une signification éthique, et ainsi, il ne peut guère être entendu dans le pur sens stoïcien. Mais la secte du Portique n’a pas elle-même suffisamment il agité la question, les solutions qu’en ont données les théologiens du christianisme le prouvent assez et nous indiquent en même temps celle qu’eût sans doute adoptée Héraclite, s’il avait envisagé le problème de face. Comme eux, il eût nié les difficultés, ne pouvant autrement les résoudre.

En tout cas, l’Éphésien n’avait certes pas renfermé dans son livre ténébreux d’énigme plus indéchiffrable que celle-là. La question de l’unité ou de la pluralité était désormais soulevée plus ou moins explicitement, non plus pour la matière ou la substance en général, mais pour les faits de conscience en particulier. À l’opposé de ce qui avait lieu pour la matière, L’opinion vulgaire se pronom ait évidemment alors, comme encore aujourd’hui, pour la pluralité. La conscience en effet apparaît à chacun comme une « monade