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cette aventure qu’on dresse mystiquement, par les villes, des phallus en face de Dionysos. »

« Car (fr. 81), si ce n’était pas de Dionysos qu’on mène la pompe, en chantant le cantique aux parties honteuses, ce serait l’acte le plus éhonté, dit Héraclite ; mais c’est le même, Hadès ou Dionysos, pour qui l’on est en folie et en délire. »

Avant de conclure à l’origine égyptienne de la cérémonie grecque, Hérodote (II, 49) ajoute : « Mélampe enseigne ce rite, sans l’avoir exactement saisi ; les sages nés après lui l’ont éclairci plus complètement. » Il est difficile de ne pas soupçonner dans ces derniers mots une allusion à Héraclite, que nous voyons donner le mot de l’énigme et justifier l’obscénité du symbole.

6. Éd. Zeller (II, p. 184, note 5) se refuse cependant à tout rapprochement entre le fragment 81 et le mythe raconté par Clément d’Alexandrie ; voici l’explication qu’il donne du fragment. L’identité d’Hadès et de Dionysos signifie l’identité de la mort et de la naissance et l’énoncé de cette identité constituerait un blâme jeté par Héraclite sur l’indécente célébration du culte de la nature vivante et féconde. Mais il existe un texte qui prouve clairement que l’Éphésien n’attaquait nullement les orgies dionysiaques :

Iamblique, De myst., I, 11 : καὶ διὰ τοῦτο εἰκότως αὐτὰ ἄκεα Ἡράκλειτος προσεῖπεν. (Aussi Héraclite appelle à bon droit les orgies des remèdes)[1].

Quant au passage de Clément d’Alexandrie (Protrept., II, 18), que rapproche Zeller et où, après avoir rappelé le fr. 63 — « les hommes ne savent pas ce qui les attend après la mort » — l’exégète se demande pour qui parle Héraclite, il est bien clair que là, c’est le disciple du Christ qui menace du feu éternel les célébrateurs des orgies et s’élève contre la profanation du terme de mystère.

Les autres objections que dirige Zeller contre l’explication de Teichmüller ne portent guère et prouvent seulement qu’il n’a pas bien compris cette explication que je vais développer tout à l’heure. La seule critique juste est relative au sens du terme πασχητιᾷ, sur lequel Teichmüller s’est trompé ; j’ai corrigé ce sens avec son aveu. Teichmüller a pu également insister un peu trop sur le jeu de mots entre αἰδοίοισι, ἀναιδέστατα et Ἀἰδης ; mais ce jeu de mots, tout à fait dans la manière d’Héraclite, ne peut être méconnu.

  1. Ce texte n’a pas été recueilli jusqu’à présent dans les fragments d’Héraclite.