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sec, de l’autre, en une masse aériforme également sèche ; dès lors, l’eau ayant disparu, l’embrasement général peut se produire et redonner une nouvelle masse aqueuse.

Dans le cours de l’évolution, il y a complication de phénomènes particuliers qui assurent au cosmos une stabilité relative ; d’une part, la terre peut se retransformer en eau, de l’autre, l’eau et la terre produisent également les deux sortes d’exhalaisons, l’humide aussi bien que la sèche. Mais que ces retours particuliers, ces différents modes de passage rentrent dans la loi générale et doivent finalement aboutir comme résultat à l’embrasement total, c’est ce qu’Héraclite exprimera en disant : « La voie est toujours une et la même, soit vers le haut, soit vers le bas, soit droite, soit contournée » (fr. 91).

Dans le texte de Clément d’Alexandrie πρηστήρ semble donc désigner l’exhalaison sèche propre à donner la flamme ; c’est la partie la plus subtile (et, par suite, la plus mobile) de l’air, celle qui est du feu en puissance, pour employer le langage d’Aristote. L’autre partie est au contraire de l’eau en puissance ; cette distinction de deux modes opposés dans l’élément primordial d’Anaximène appartient en propre à Héraclite, et c’est peut-être le trait le plus original de ses opinions physiques ; mais elle n’était pas suffisamment appuyée sur des faits et ne pouvait aboutir à une conception véritablement scientifique.



II. — Héraclite théologue[1].


3. Mais l’Éphésien ne recherchait rien de semblable ; au milieu des « physiologues » ioniens, il a, de fait, une position toute spéciale, ou plutôt il n’est rien moins que physiologue ; c’est un « théologue ». Membre d’une famille sacerdotale, sans une renonciation en faveur de son frère, il eût eu les privilèges réservés aux aînés des descendants de Codrus, y compris la présidence des cérémonies de Dêmêter Éleusinienne (Strabon, XIV, p. 633). C’est dans le temple d’Artémis qu’il dépose son livre, pour que la lecture en soit réservée aux élus qu’admettront les prêtres (Diog. L., IX, 6). Il connaît les mystères et non seulement y fait des

  1. Cet article et le suivant sont, en majeure partie, empruntés à Gustav Teichmüller : Neue Studien zur Geschichte der Begriffe, I, p. 1-269 ; II, p. 105-253.