Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
chapitre vi. — anaximène.

bien avoir suivi, pour la sphère solide, les traces de ce dernier. L’analogie est marquée par la comparaison faite, de part et d’autre, de la substance de cette sphère avec la glace (κρυσταλλοειδῶς), et, quoique cette analogie puisse paraître accidentelle, le rapprochement des deux opinions permet de les éclairer l’une par l’autre.

La façon dont le Milésien expliquait la formation de la grêle (14) et de la neige, ne peut nous laisser aucun doute sur la manière dont il se représentait l’origine du « crystal » de son ciel solide. C’était pour lui de l’air condensé et arrivé à la congélation après avoir passé par l’état liquide, mais partiellement seulement, sans quoi le corps solidifié eût été opaque, comme la neige. Cependant, comment cette condensation a-t-elle pu se produire, alors qu’il semble que le tourbillon général doive entraîner la dilatation à mesure qu’on s’éloigne du centre ? Comment cette congélation, d’autre part, peut-elle subsister, lorsqu’en tant de points de la surface sont allumés les inextinguibles feux des étoiles ?

Anaximène n’avait certainement pu se dérober à cette double question, mais, pour savoir comment il y répondait, nous sommes réduits aux conjectures. Cependant, pour le premier point, il semble qu’une seule solution était possible et qu’elle se trouvait précisément dans la croyance à la limitation de l’espace. Si les corps de nature terreuse qui se forment par la condensation à l’intérieur du tourbillon, sont rejetés au centre ou vers le centre, l’air, arrêté dans son mouvement centrifuge par suite de la limitation de l’univers, se condensera nécessairement vers la partie extrême du tourbillon et formera ainsi une voûte solide.

Cette solidification, due dès lors non pas au froid, mais bien à la pression, ne donnera pas de la glace (κρύσταλλον), mais un corps analogue (κρυσταλλοειδές), dont on peut comprendre l’existence à côté des feux stellaires. Cependant il faut expliquer comment ceux-ci s’alimentent. Anaximène admettait, au moins pour le soleil, la lune et les planètes, que l’origine en était dans les vapeurs humides s’élevant de la terre et se dilatant de plus en plus. Il conçoit donc, comme l’avait fait Anaximandre avant lui, et probablement aussi Thalès, un échange continuel de matières du ciel à la terre (pluie, grêle, neige) et de la terre au ciel (vapeurs aériformes susceptibles d’arriver à l’incandescence). Le mouvement ascensionnel doit se continuer jusqu’à la limite du monde. Mais, quand la solidification s’y opère, tout l’air ne reste pas emprisonné dans le « crystal » ; une partie se dégage en se dilatant et c’est ainsi que peuvent