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Le plus ancien témoignage se trouve dans Aristote (Métaph., I, 5, p. 986 b) : « Parménide semble avoir parlé de l’Un selon la raison, Mélissos selon la matière ; ainsi l’un l’a dit limité, l’autre infini. Quant à Xénophane, qui a posé l’unité (ἐνίσας) avant eux (car on dit que Parménide fut son disciple), il ne s’est en rien expliqué clairement (οὐθὲν διεσαφήνισεν), et il ne semble avoir touché à la nature de l’Un ni d’un côté ni de l’autre ; mais seulement, regardant le ciel entier, il dit que l’Un est le Dieu. »

À vrai dire, on n’est nullement assuré que la phrase relative à Xénophane soit d’Aristote lui-même et que le texte ne soit pas interpolé. Comme le fait remarquer Diels (Doxogr. græc., p. 109-110), les mots grecs reproduits ci-dessus entre parenthèses n’appartiennent nullement à la langue d’Aristote et rendent par suite le passage très suspect. Mais si l’autorité en est ainsi diminuée, elle reste toujours considérable et au moins équivalente à celle de Théophraste.

L’opinion, que Xénophane ne se serait pas prononcé sur la limitation ou l’infinitude de l’univers, pouvait, malgré la contradiction du fragment 12, avoir sa raison d’être dans le défaut de précision du langage et des raisonnements du poète, ainsi que nous l’avons expliqué. Mais l’auteur du passage ci-dessus semble, en particulier, y avoir été conduit par la légende sur les relations entre Parménide et Xénophane, par la nécessité de ne pas creuser un abîme entre le poète de Colophon et celui d’Élée.

Une opinion tout opposée est développée dans le traité pseudo-aristotélique De Melisso, Xénophane et Gorgia, dont l’autorité est relativement très faible ; Xénophane aurait démontré que le dieu est éternel, unique, semblable dans toutes ses parties et de forme sphérique, mais qu’il n’est ni infini ni limité, qu’il n’est ni en repos ni en mouvement. Ce traité me paraît avoir été rédigé par quelque péripatéticien désireux de concilier les opinions opposées (de Théophraste et de Nicolas de Damas) sur la doctrine de Xénophane.

Quant à Théophraste, son opinion nous a été conservée par Simplicius (1) ; toutefois ce dernier la dénature grandement[1] ; il semble, d’après son texte, que Théophraste aurait attribué à

  1. Dans la traduction que j’ai donnée ci-après, j’ai, comme pour tous les fragments analogues de Théophraste, marqué en italique ce qui, d’après l’opinion de Diels, appartient à Simplicius et non à l’auteur des Opinions des physiciens.