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dessus d’espaces inhabités (mers, déserts) ; là leur marche serait vaine ; alors ils s’éteignent (13). D’autres plus loin peuvent se rallumer et éclairer d’autres jours et d’autres nuits pour les habitants d’autres contrées de la terre. Il y a, dans cette hypothèse fantaisiste, un singulier emploi du principe de finalité, et il peut convenir de le noter.

Au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, la terre s’étendant indéfiniment, les mêmes phénomènes doivent se reproduire ; il y a donc une infinité de soleils différents éclairant une infinité de terres habitées, de mondes compris dans un même univers.

Si d’ailleurs cet univers est éternel, les changements particuliers ne sont pas niés ; tout au contraire. Ainsi l’eau et la terre qui forment les contrées que nous habitons, ont dû être mélangées autrefois, puis séparées par l’action de l’air et du feu solaire (16). Les fossiles marins que l’on rencontre sur la terre ferme sont la preuve de cette révolution partielle (4). Mais la mer qui ronge peu à peu la terre, finira par triompher, et le mélange primitif se reformera, sans doute à la suite d’une extinction prolongée de notre soleil.

Dans cette partie de l’univers que nous habitons, l’humanité est donc née, comme elle est condamnée à disparaître ; des cycles semblables la feront revivre dans la suite.

10. Sur ces derniers points, Xénophane se rapproche des idées d’Anaximandre, dont il vulgarise d’ailleurs quelques autres opinions, comme celles, très justes, qui concernent l’origine des nuages et de la pluie. Mais ce qu’il y a d’original dans le reste des assertions du poète, serait absolument insignifiant, comme valeur scientifique, sans les quelques observations paléontologiques qu’il a pu recueillir lui-même, et sans le succès relatif de son acharnement à bannir les divinités populaires des phénomènes naturels.

Ses opinions témoignent d’ailleurs de plus de fantaisie que de véritable invention ; souvent même elles sont absolument naïves comme quand il fait naître tout ce qui a vie de la terre et de l’eau. L’idée-mère d’où sont sorties ses conceptions sur la nature des astres, semble, d’autre part, être la croyance que leurs feux se nourrissent des vapeurs que le soleil fait monter de la surface des eaux et de celle de la terre. Or, cette croyance, très répandue parmi les antiques physiciens, était toute naturelle à une époque