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Et d’abord Xénophane a-t-il bien un système de physique ? À la vérité, les traits épars dans ses fragments et chez les doxographes se laissent coordonner assez bien, en ce sens du moins qu’ils ne présentent pas entre eux de contradictions formelles. Mais il n’est guère possible d’y reconnaître un lien véritablement organique. On dirait au contraire que l’humour du poète se donne libre carrière dans d’amusantes parodies des explications tentées avant lui ou dans de paradoxales gageures soutenues contre le témoignage des sens.

Est-ce, par exemple, de la prédiction de Thalès qu’il voulait se moquer, quand il parlait (13) d’une éclipse de soleil pouvant durer un mois ? Comment prendre davantage au sérieux la plupart des assertions qui vont suivre ?

9. La terre, plate, n’a point de limites, ni de côté ni en dessous ; ses racines s’étendent à l’infini ; au-dessus l’air est également infini (fr. 12). C’est bien là le rêve d’un poète :

Que sa face ne soit pas ronde,
Mais s’étende toujours, toujours !
(Sully-Prudhomme.)

Les astres, depuis le soleil jusqu’aux comètes, les météores, des étoiles filantes au feu Saint-Elme (13) (15), ne sont que des nuées incandescentes. Formées par les exhalaisons humides qui se réunissent, ces nuées s’enflamment, par suite du rapprochement qui s’opère entre les particules ignées qu’elles renferment, ou encore en raison même de leur mouvement.

Ce mouvement, pour les astres, est rectiligne et a lieu suivant une droite indéfinie ; l’apparente circularité de leur orbite est une illusion due à la distance. Il est à peine besoin de faire remarquer qu’il y a là un paradoxe insoutenable pour quiconque possède les moindres notions de géométrie.

Les astres que nous voyons ne sont donc jamais les mêmes ; chaque jour, chaque nuit, de nouveaux se succèdent. Xénophane aurait pu soutenir qu’ils ne s’éteignent pas et continuent indéfiniment leur course ; mais a-t-il craint de leur attribuer une éternité qui en eut fait des dieux ? A-t-il tenu à les réduire au rang de phénomènes purement passagers ? ou bien voyait-il dans les éclipses une preuve de la possibilité de leur extinction ?

Il admet qu’en poursuivant leur route, les astres arrivent au-