Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nide, tout en écartant, autant que possible, la conclusion idéaliste ; il éluda les difficultés en déplaçant le terrain de la question, mais nous n’avons pas à le suivre ici, le but principal de cette digression ayant été de montrer l’enchaînement historique des différentes doctrines cosmologiques, et en particulier de bien faire ressortir que, contrairement à une tradition assez ancienne pour que le texte d’Aristote la mentionne déjà, Parménide est absolument indépendant de Xénophane, et que ce dernier occupe une position tout à fait isolée.

Comme nous l’avons déjà indiqué, le Colophonien avait admis l’infinitude de la matière, mais en même temps nié la révolution diurne et cherché à expliquer autrement les phénomènes célestes. Ses tentatives grossières en physique ne dépassent guère, comme valeur scientifique, les mythes théogoniques auxquels il prétendait substituer ses explications, mais le fait même de les avoir essayées marque un abîme entre lui et Parménide. Il n’y a pas moins de différence dans le langage des deux poètes sur la vérité et l’opinion. Le Colophonien est un sceptique, qui désespère de saisir l’absolue vérité ; l’Éléate se présente comme muni d’un critérium décisif. Le second a sans doute connu l’œuvre du premier, il ne lui a emprunté aucune de ses thèses.

II. — Xénophane poète.

6. Pour bien apprécier les opinions de Xénophane, il est essentiel de se rendre compte de son véritable caractère ; d’ordinaire, en effet, on le regarde trop comme un véritable philosophe, alors qu’en réalité c’est bien plutôt un poète humoriste.

Les dates extrêmes de sa vie, telles qu’elles ressortent des données d’Apollodore, sont probablement trop reculées et peut-être de beaucoup ; cependant il n’y a pas d’inconvénient à les supposer vraies.

Jadis puissante et au premier rang des cités ioniennes sur la côte de l’Asie-Mineure, Colophon, déchirée par les discordes civiles, avait vu déchoir sa splendeur, et, lorsque Xénophane y naquit, elle était, depuis près de soixante ans déjà, tombée, la première de toutes ses sœurs, sous la domination des Lydiens (Hérodote, I, 14). Mais cet assujettissement, qui se réduisait à l’imposition d’un tribut, n’avait fait que diminuer son opulence,