Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il pénètre dans le ciel en tant que celui-ci respire le souffle (πνεῦμα) infini, et que c’est ce vide qui délimite les choses. »

Les règles de la critique historique la plus sévère ne peuvent, en pareil cas, exiger que le départ, de ce qui, dans le texte, témoignerait d’une élaboration postérieure à Pythagore, ou bien serait reconnu comme rentrant dans les mystères que Xénophane ne devait pas connaître. Ainsi nous pourrions suspecter toute trace de ce symbolisme mystique auquel j’ai fait allusion et dont les disciples du Samien ont abusé à l’exemple de leur maître ; nous aurions à écarter tout ce qui se rattacherait au système astronomique de Philolaos, ou même à la théorie qui fait des nombres l’essence des choses ; car cette théorie est nécessairement postérieure à la formation du concept de l’essence, lequel ne commence à apparaître que chez Xénophane.

Mais ici il n’y a rien de semblable ; on ne peut reconnaître qu’une physique grossière et des concepts concrets ; le tout porte en soi-même une marque assurée de son antiquité.

En premier lieu, le terme de vide ne doit pas faire illusion ; la notion du vide absolu n’est pas antérieure aux atomistes, et précisément la polémique d’Anaxagore contre les pythagoriens, telle que la rapporte Aristote, prouve bien que le vide admis par les derniers n’a jamais été qu’un vide apparent, c’est-à-dire, pour les anciens, de l’air. Mais que les pythagoriens se rendissent eux-mêmes compte de la matérialité de ce vide prétendu, c’est ce que prouve suffisamment, dans le passage ci-dessus, le synonyme de pneuma qui sert à le désigner.

D’autre part, on applique souvent et trop exclusivement cette doctrine de la respiration du cosmos à l’attraction qui, lors de la genèse du monde, aurait fait entrer une partie de l’infini dans le sein de l’Unité. Ce n’est pas le moment de discuter ici si cette croyance à une genèse réelle du monde est authentiquement pythagorienne, comme le prétend Aristote, non pas sur des témoignages formels, mais d’après des déductions qui lui sont propres. En tout cas, tous les textes parlent de cette respiration comme d’un acte qui a lieu présentement ; ils ne peuvent donc être entendus que si à l’inspiration on joint l’expiration, absolument comme pour les êtres vivants. Nous sommes donc en face d’un anthropomorphisme bien peu digne d’un contemporain de Platon, et nous nous trouvons d’autant plus justifiés à taire remonter toute la formule à Pythagore lui-même.